Main basse

Publié le par ap

Il était venu manger, un soir, comme prévu. Elle avait son idée. Je ne suis pas certain d’avoir voulu ce qui devait arriver. Monique, mon épouse, savait ce qu’elle voulait. Elle a œuvré dans ce sens, « Pour ton bien… » a-t-elle ajouté.

En fait, tout a été très vite. Il a du s’endormir sans se rendre compte du poison qu’il venait d’ingurgiter. Elle avait mis la dose. Je n’ai pas pu m’endormir après ça. Dans mon demi-sommeil, je voyais des mains couvertes de sang, j’entendais des voix qui tournaient dans la chambre comme des moustiques. Je voyais la tête de Richard suspendue dans l’air, face à notre lit, qui articulait des paroles inaudibles. Je reculais sous les draps et sous ses reproches. Qu’avions nous fait là ?

La voiture de Richard fut retrouvée le lendemain dans un fossé, le long de la nationale. Elle avait percuté un arbre. « Il est mort sur le coup… » avait dit le gendarme, « crise cardiaque ! ». L’affaire fut vite classée.

J’étais le seul successeur sérieux de la boite. Monique avait vu juste : je fus élu par le conseil d’administration, au poste de direction à l’unanimité des voix, trois jours à peine après les obsèques de Richard.

En m’installant derrière son bureau j’éprouvais plus qu’une certaine fierté. Il y avait longtemps que j’attendais ce moment. Les premières semaines furent on ne peut plus agréables. Je pouvais enfin, à ma guise diriger ce petit monde. Je licenciais certains de mes anciens collègues qui, il y a peu encore, me tenaient tête lors des réunions et s’opposaient à mes projets d’élargissement du capital de l’entreprise. Je fis changer les rythmes de travail pour obtenir de meilleurs rendements. La fantaisie me prit de faire repeindre les bureaux de moderniser le mobilier et aussi d’embaucher une nouvelle secrétaire plus…plus agréable. Les actionnaires étaient satisfaits de ce nouveau cap. Tout allait pour le mieux.

Et puis, un jour un jeune homme est venu me trouver. Il disait avoir connu de près Richard et voulait me montrer « des documents privés qui étaient susceptibles de m’intéresser ». Il avait déposé sur le bureau des clichés mais je n’avais pas compris tout de suite…Richard nu, une corde au cou enlaçait une femme gainée de noir. Je connaissais les mœurs dissolues de mon ex-patron, mais je n’aurais jamais été capable de l’imaginer dans de telles positions...

Ce n’est qu’à la dernière image que j’ai reconnu Monique. Je me suis effondré dans le fauteuil pivotant et j’ai regardé, par la baie vitrée la ville à mes pieds. « Combien ? » ai-je prononcé dans un souffle pendant que le type restait là, debout, à  regarder mes yeux humides… « Tout ça… », a-t-il lâché calmement en faisant un simple moulinet de la main.



Je suis aujourd’hui employé d’une la filiale de mon ancienne boite. Je trie les archives déclassées. Ce jour là, j’ai tout perdu, y compris ma femme. Elle n’a pas supporté…et moi pas d’avantage.

Parfois, en sortant du bureau, il m’arrive de voir Monique passer en voiture, assise à côté du jeune homme qui a pris ma place.

«… et dire que c’était le petit ami de Monsieur Richard »…m’a dit l’autre jour la femme de ménage en me désignant du menton le conducteur de la Rover noire, « …en voilà un qui a fait du chemin ! »

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