Amorces (8)
8 – Flash Back
La façon dont Jonas avait réagit lorsqu’il lui avait dévoilé l’existence de sa bibliothèque personnelle avait déconcerté Marc. Il en était venu à regretter d’avoir mis le jeune homme dans la confidence... Mais au fond, Marc savait que c’était la capacité de Jonas de se souvenir de ses rêves qui avait accéléré les choses. Le processus qui s’était enclenché depuis très longtemps ne dépendait pas que de lui. A présent, il fallait faire vite. Du temps, il n’en restait plus beaucoup, et cela Marc le savait très bien. Il était trop tard pour se laisser aller à ce genre d’états d’âme. Faire confiance à Jonas était leur dernière carte.
Marc avait appris que le gouvernement opérait une surveillance très stricte à son sujet. Quelques précédents faux pas l’avait fait entrer dans la liste orange du central. L’inscription de son nom dans la liste rouge n’était plus qu’une question de temps. Ses faits et gestes étaient consignés. Un membre bien placé du groupe l’en avait averti. Plus personne ne pouvait rien faire lorsque les choses arrivaient à ce niveau là... Même une conduite irréprochable ne pouvait sauver Marc. Mais i n’était pas dupe, il savait très bien que cela devait arriver. Il l’avait su dès le jour où il avait fait le choix d’entrer en résistance. Enfin, avait-il eu vraiment le choix ? En y réfléchissant, Marc pensait que non. Comme Jonas, les choses s’étaient imposées d’elles-mêmes.
Le seul regret de Marc à présent était de ne pas pouvoir aider d’avantage Jonas. Sa mission avait été clairement définie depuis longtemps, aller au delà pouvait tout compromettre, il le savait.
Faire entrer Jonas dans son service n’avait pas été facile. Il avait dû faire jouer son influence et convaincre certaines de ses relations pour accéder aux données du fichier central et en « modifier » quelques critères. Ce subterfuge pouvait lui coûter très cher mais il n’en était pas à son premier coup d’essai. Changer les données sur le patrimoine génétique de Jonas était l’unique moyen de parvenir à ses fins, même s’il jouait avec la vie du jeune homme. Marc éprouvait une profonde répulsion face à ces pratiques, mais il n’était pas l’auteur des règles du jeu et s’il voulait avoir une chance que ça marche, il n’avait pas vraiment le choix, il devait combattre à armes égales… Et c’est comme ça que Jonas avait intégré son unité de recherche.
Marc savait qu’il avait pris de gros risques mais il fallait à tout prix que Jonas soit placé sous sa responsabilité. L’arrivée du jeune homme dans le service avait causé un certain nombre de tracas. Les foudres de ses confrères, qui vociféraient sur le « caractère instable » du jeune homme, s’abattaient régulièrement sur lui en lui reprochant d’avoir nommer Jonas à un poste aussi important, Marc jouait sur sa réputation d’anticonformiste, qui lui avait souvent valut des blâmes de la part de sa hiérarchie, pour imposer la présence de Jonas dans le labo sans donner d’explications, ses collègues prenant cela comme une lubie de plus de sa part. Certes, Jonas avait une personnalité complexe, ce qui le rendait d’autant plus exceptionnel aux yeux de Marc.
Par ailleurs, Jonas s’était toujours montré à la hauteur de la confiance que Marc lui avait accordée. C’était la façon dont il procédait qui agaçait le personnel. Jonas avait pour habitude d’outrepasser les règles élémentaires qui régissait le laboratoire. Le trentenaire détestait la paperasserie et bien que chaque acte devait être consigné afin d’être enregistré sur le central, il agissait souvent sans accord préalable des grands pontes des services, mais avec la plus grande intelligence. Marc s’en amusait et avait d'ailleurs couvert Jonas à plusieurs reprises. Au fond, il se reconnaissait dans le jeune homme qui jouait avec les failles du système et s’assurait ainsi une certaine liberté d’action. Lorsque Jonas agissait ainsi, Marc se sentait conforté dans le choix de l’organisation pour Jonas car lui aussi fonctionnait de la même manière depuis très longtemps - une question de survie - et c’était essentiellement ce qui les avait rapprochés au point de créer entre eux une très forte amitié.
Placer Jonas sous son aile était le seul moyen réellement efficace pour Marc de surveiller son évolution. Il devait être prêt à intervenir lorsque le processus des rêves allait s’enclencher. Finalement, les signes s’étaient montrés évidents et Marc n’avait eu aucun mal à les détecter.
En effet, au fur et à mesure que ses rêves sur l’Hélice s’étaient multipliés, le caractère de Jonas avait changé. Fatigué, il se montrait de plus en plus irascible au point que tout le service l’avait pris en grippe. Jonas s’en moquait. Ce n’était pas sa préoccupation première. Pourtant, il épargnait Marc de ses sauts d’humeur comme si inconsciemment, il savait que son ami connaissait les raisons profondes de son mal-être bien qu’ils n’aient jamais évoqué ce sujet ensemble. Marc savait à quel point cette phase était douloureuse, Jonas devait en passer par là... Seul. C’était nécessaire.
Depuis le soir où Jonas s’était enfin livré à Marc et que ce dernier lui avait appris l’existence de sa collection personnelle de livres, il avait délibérément interrompu ses visites chez son ami en prétextant un surcroît de travail dû à l’approche des examens. En y repensant, Marc se disait qu’il aurait pu prévoir cette réaction. De toute façon, son rôle auprès de Jonas s’arrêtait là...