Jonas (1)

Publié le par ap

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(marée basse)

Assise au bord d’une plate-forme inclinée, protégée par l’ombre de la passerelle du poste de pilotage, Elle laissait ses jambes balancer doucement au dessus du ventre ouvert de la grande carcasse échouée.

Un vent, qui soufflait en rafales de l’aube à l’aurore, soulevait d’épaisses nappes de sable ocre sur le paysage alentour. Depuis longtemps, déjà, Elle s’était résignée aux gémissements de la tôle sous les assauts répétés des bourrasques, seule manifestation de la vie qu’elle puisse encore percevoir dans ce coin de terre aride, balayé par les tourbillons, écrasé par la chaleur. Seule, depuis la disparition du ciel derrière l’écran mouvant de grains rouges, Elle continuait cependant à conserver l'illusion qu’elle était encore vivante et que ses compagnons allaient bientôt la rejoindre… Mais combien de temps s’était écoulé depuis leur départ ? Elle n’en n’avait plus la moindre idée.

 

Sous ses pieds, Elle devinait la grande masse brune et compacte. Machinalement, Elle fixa l’anneau de fer à la lanière de cuir fixé au câble d’acier qui était tendu entre la plate-forme et le fond obscur du puit, puis lâchant prise elle se laissa basculer dans l’obscurité.

 

Cette descente, qu’elle effectuait quotidiennement vers le fond du Tanker, lui prenait moins d’une minute pour parcourir ces quelques trente mètres de hauteur. Elle avait, l’un des premiers jours, évalué la profondeur, en descendant, à bout de bras le long filin lesté par une plaque de fonte, qui, depuis, lui servait à effectuer cette longue glissade. Quelques instants avant de toucher le fond, elle libérait l’anneau, pour finir en chute libre. Le plus dur au début avait été d’apprendre à évaluer le temps nécessaire pour ne pas lâcher ni trop tôt, ni trop tard. A cette époque, Elle se souvenait avoir utilisé le frein de la vielle poulie à cliquet, avant que celui ne cède. Puis se fut le tour de la poulie. C’est ce jour là qu’Elle avait apprit à tomber en bout de course. Pour remplacer la poulie, Elle avait trouvé ce C recourbé en acier, au bout d’un cordage, auquel Elle avait noué un morceau de cuir pour recevoir l’anneau du mousqueton. Plusieurs fois Elle avait manqué de se rompre le cou et les jambes. Puis, à force d’habitude, Elle avait appris à se guider à l’oreille, guettant le sifflement suraigu du métal. Lorsqu’Elle lâchait il lui restait deux ou trois mètres à parcourir avant d’atterrir…

 

Ses pieds heurtèrent le banc de sable qui avait tapissé le fond de l’épave et Elle amortie sa chute en effectuant une roulade. Sur cette partie élevée du réservoir du tanker, Elle ne disposait que peu d’espace pour tomber sans rouler jusqu’au liquide gluant qui stagnait plus bas. Une fois Elle n’avait pas pris garde et s’était retrouvée engluée dans cette sorte de vase noirâtre. C’était miracle de s’être sortie de ce bain de cambouis : Elle avait frôlé l’asphyxie. Maintenant, Elle se méfiait et limitant, autant que possible la hauteur de sa chute pour se rétablir le plus vite possible sur la pente sablonneuse. Elle remonta à tâtons en cherchant le point d’ancrage du câble, auquel étaient reliées deux cordes. Ayant passé l’extrémité de l’une d’Elle à sa ceinture, Elle s’éloigna à quatre pattes et de son point de chute pour rejoindre l’écoutille qui se trouvait en amont de la pente et par la quelle Elle devait passer, pour rejoindre un long couloir qui surplombait le réservoir adjacent. Quand Elle eut trouvé le passage dans la cloison métallique, Elle s’arrêta un instant sur le seuil et écouta le bruit si caractéristique de ruissellement de cette vaste citerne. S’agrippant aux barreaux de l’échelle qui existaient encore de ce côté ci, Elle se mit à descendre lentement jusqu’à ce que ces pieds rentrent en contact avec l’élément liquide. Mais cette fois Elle n’éprouvait aucune crainte car Elle savait que c’était de l’eau qui occupait le fond de cette immense chambre. Des litres et des litres d’eau…

C’était Simon qui avait déniché un jour, par hasard, cette utilme réserve d’eau.

 

Elle, Renée, Marine, Ulysse et Momo était en train de participer à des recherches océanographiques quand la mer avait commencé à se retirer. Un matin alors que l’équipe effectuait des relevés au large de la Mauritanie, l’avant du « Poséidon », la vedette où ils se trouvaient, avait soudain rencontré des récifs.

C’était tellement improbable à cette distance de la côte que, sur le coup, Momo, le pilote avait d’abord cru qu’il s’agissait d’un banc de dauphins qui, jouant sous la coque, l’avait  heurté… Mais il fallu vite, hélas, se rendre à l’évidence. Le Poséidon piquait déjà du nez  quand l’équipe mit le canot de survie à la mer. Momo jurait par tous les saints qu’aucun rocher ne figurait sur les cartes de navigation et surtout qu’il connaissait cette zone comme sa poche tandis que sombrait la vedette. Nous savions qu’avec ce pneumatique nous étions condamnés à dériver pendant plusieurs heures car de forts courants nous poussaient vers le large… « Ca non plus, ce n’est pas normal! » avait lâché Momo inquiet.

Après cinq jours, et malgré leurs espoirs de voir arriver les secours, rien ne s’était manifesté. L’inquiétude se transforma peu à peu en une profonde angoisse, les provisions étaient épuisées et ils dérivaient toujours plus loin des côtes sans croiser le moindre navire. Plusieurs jours encore s’écoulèrent avant qu’ils ne soient repêchés par ce Pétrolier.

Le commandant leur fit part, en quelques mots de la brusque descente du niveau des océans dont ils avaient, comme beaucoup été victimes. Lui même tentait de rapatrier son navire vers le nord, mais craignait déjà qu’aucun port ne soit plus à même de l’accueillir, au mieux, il tenterait de s’échouer au large du détroit de Gibraltar, si c’était encore possible…

Deux jours après, en pleine nuit le gigantesque tanker raclait à son tour le fond de l’océan, avant de ce coucher définitivement au lever du jour.

En moins de temps qu’il faut pour l’écrire, ils virent apparaître les premiers reliefs des fonds marins. L’eau reculait à vue, se retirait comme si quelqu’un avait soudain retiré la bonde d’une baignoire.

 

L’équipage effaré, quitta aussitôt l’épave et prit pied sur un sol encore humide. Le commandant décida de composer une caravane pour rejoindre la côte. Jamais de leur vie des marins ayant essuyé une avarie à mille milles des côtes ne s’étaient encore trouvés dans cette situation absurde de rentrer chez eux à pied !

Beaucoup suivirent, mais certains craignant que la mer soudain ne remonte décidèrent de rester à bord. Encore affaiblis par leur premier naufrage, les membres de l’équipe océanographique qui ne se sentaient pas en mesure de suivre la marche forcée prévue sur les 200 kilomètres qui le séparait de la ville la plus proche, décidèrent donc de rester aussi, espérant que, bientôt, des secours motorisés pourraient venir les chercher.

 

Au bout d’une semaine, les vivres et l’eau vinrent à manquer. Des bandes s’étaient rapidement constituées parmi les rescapés et s’entretuaient pour récupérer des rations d’eau. Les moins combatifs, ou les plus faibles finirent par abandonner la place. La fin des conserves pouvait les transformer en alimentation potentielle : ça s’était déjà vu !

 

Momo, René, Marine, Ulysse et Elle, s’étaient retranchés dans une partie basse du Tanker, non loin de la chambre des machines. Ils attendaient enfermés dans un caisson que cette folie cesse.

Personne ne se soucia d’eux, jusqu’au jour où l’eau de la chaudière qu’il utilisaient fut épuisée. Renée, qui avait tenté une sortie pour trouver de quoi boire ne revint pas. On partit à sa recherche, mais on ne trouva qu’un tas d’os. Elle avait été dépecée et consommée sur place et ses restes abandonnés aux rats. De ce jour on organisa une résistance plus méthodique dans la soute à charbon, et puisque les rats n’avaient pas encore quitté le navire, on décida qu’il fallait s’en nourrir. Ulysse réalisa des pièges et chacun abandonna un doigt pour servir d’appât aux rongeurs. Ils purent ainsi tenir une quinzaine de jours supplémentaires… peut-être moins, car la notion du temps se diluait peu à peu.

Un jour, en relevant les pièges, Ulysse trouva un braconnier qui finissait son repas sur place. Fou de rage, il se jeta sur lui et lui creva les yeux. Sa colère apaisée, il ramena le vaurien dans la soute… Simon, était le nom de ce jeune mousse qui, lui aussi, avait trouvé refuge à fond de cale. Simon implora qu’on l’épargne proposant en échange d’indiquer une citerne encore pleine d’eau. C’est ainsi qu’ils purent encore tenir quelques semaines.


Elle se baissa, tira sur la corde qui courait le long de la rampe de l’échelle pour remonter à la surface un récipient du précieux liquide. Après avoir remplit l’outre de cuir qu’elle portait en bandoulière, Elle but à lentes gorgées puis entreprit de refaire le chemin inverse. Arrivée au pied du câble qui lui avait permis la descente, Elle libéra la corde de sa ceinture et fouilla le sol de ses mains à la recherche de la seconde corde. Celle-ci conduisait à une conduite de dégazage des réservoirs et servait de sortie. Elle se hissa à bout de bras aux bords de l’énorme canalisation et plongea la tête la première sur le long toboggan qui l’emmenait à l’air libre…
[...]

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2 - Jonh Asse

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