Le dépays
Le récent billet de Mr KA sur le zen photographique (il fraudra d'ailleurs que l'on en reparle sur le fond) m’a fait ressortir un ouvrage de la bibliothèque. Il s’agit de ce petit livre intitulé « Le Dépays » de Chris Marker publié aux Editions Hercher en 1982. Alternant photographies et texte de l’auteur, ce petit livre sur le Japon n’a cependant rien d’un carnet de voyage, au sens où on l’entend habituellement, je veux dire veux dire par là qu’il ne comporte pas à mes yeux le moindre exotisme. On ne pouvait d’ailleurs pas en attendre moins du réalisateur de « Sans soleil » et de « la Jetée », les deux seuls films que j’ai vu de lui .
« Inventer le japon est un moyen comme un autre de le connaître… se fier aux apparences, confondre sciemment le décor avec la pièce, ne jamais se fier aux apparences, confondre sciemment le décor avec la pièce, ne jamais s’inquiéter de comprendre, être là – et tout vous sera donné par surcroît. Enfin un peu… », prévient l’auteur.
En fait, plus qu’un récit documentaire, mieux qu’un reportage, c’est presque une fiction que tisse ici Chris Marker, entrelaçant discrètement les prises de vues quotidiennes aux mots qui décrivent les attitudes et les gestes, regardant les objets, les chats et les paysages autant que les personnes.
C’est un portrait simultané du Japon et de lui-même que dresse ainsi l’artiste se retournant, un an après son séjour au japon, sur le voyageur qu’il fut. « On change, on n’est jamais le même…mais je sais que, si je retourne demain au japon, j’y retrouverai l’autre, j’y serai l’autre. »
Ce pays de l’autre, l’étranger de l’étranger, est donc ce dépays où nous plonge Chris Marker «… mon pays où personne ne démêlera jamais les vélos emmêlé, où l’écrivain public ne recevra jamais une réponse d’Alain Delon, […] où peut-être l’accordéoniste arrivera au bout de sa chanson italienne pendant la cérémonie du thé, où peut-être la flèche arrivera au bout de sa course… mais là, ça n’a plus d’importance. Tout est dans le geste du tireur. La flèche n’a pas plus de but que n’en a la vie : ce qui compte c’est la politesse envers l’arc. Telles sont les choses de mon pays, de mon pays imaginé, mon pays que j’ai totalement inventé, totalement investi, mon pays qui me dépayse au point de n’être plus moi-même que dans ce dépaysement. »
En feuilletant ce livre, ce soir, je repense à Gauguin, aux textes de Segalen et de Michaux, à l’empire des signes de Barthes et aussi au film de Wim Wenders « Tokyo Ga », où Chris Marker faisait d’ailleurs une courte apparition. Je songe aussi à l’humilité de certains voyageurs comparée à la bêtise de certains autres…
Oui, effectivement, pour comprendre l’ailleurs, il faut pouvoir l’inventer et savoir s’y perdre.
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Les photographies qui accompagnent ce billet ont été prises en feuilletant Le Dépays