Choir
« Île blanchie de guano, cerclée de plages de sable volcanique noir, poussant sur ses pentes une jungle verte qui s’étage en arrière-plan sur le ciel changeant – mais souvent rose orangé, aux crépuscules du jour et de la nuit -, battue par des eaux turquoises ourlées d’écume, Choir doit être si belle, vue depuis la voûte céleste, qu’il se pourrait qu’Ilinuk ne parvienne tout simplement pas à se détacher de sa contemplation pour démarrer sa fusée et venir nous arracher à cet enfer. Et puis la poser où, cette fusée, dans quelle couleur ?
Le nez sur le motif, nous n’inhalons que du gris. Il y a ce secret que nous perçons dans notre jeune âge, que les enfants se confient à voix basse, initiés par un grand frère ou par une conversation d’adultes surprise depuis leur cachette (le placard où nous serrons ces méchants diables) : il faut se couper, à Choir, pour connaître la couleur rouge, la couleur des couleurs, qui est dit-on de toute splendeur. On y va donc, courageusement, bravant la douleur, mais les mouches sont tout de suite sur la plaie en si grand nombre que certains se vident de leur sang et meurent sans avoir vu autre chose que le grouillement noir des diptères insatiables. »
Eric Chevillard Choir Les Editions de Minuit 2010 .P.93
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Illustration tirée du carnet recouvert "Manual Training", ap 2005