Amorces (6)
Friche, La levée, Tavier sont les trois premiers textes d'un récit qui pour l'instant a pour titre "Amorces". Je n'ai aucune idée de ce qui va advenir de ces personnages, apparus un jour de forte fièvre ... Ceci est donc une invitation à ceux qui auraient envie d'en écrire la suite autrement dit ces amorces sont une proposition d'écriture.
> Planches (sur étaton)
6- L’autre livre
Un fracas lointain le tira de son sommeil. Sa première vision fut celle de la courbe d’une colline avec en arrière plan un ciel radieux. En bougeant l’avant bras, il venait de détruire ce paysage. Le ciel ruisselait maintenant sur la surface lisse d’un lac. Un astre rouge clignotait sur cette flaque comme un battement cardiaque. Le sable, la tour, le visage angélique arraché de l’ombre, le nombre 555, la silhouette de cette femme basculant dans le vide, les ombres des lampadaires alignés sur la palissade du chantier a la nuit, la sensation froide du ciment, les fantômes surgis dans la brume, le regard perdu d’une passante, les mailles du grillage, la mousse aspirée par la bonde… En bribes alternées, des images remontaient dans le désordre. Il se redressa péniblement et se calla contre le dossier de sa chaise. Il posa ses mains à plat sur la nappe bleue luminescente du bureau en essayant de reprendre ses esprits. Sa sacoche en tombant s’était répandue sur le sol. Il considéra un instant les dossiers et les instruments éparpillés, son regard parcouru le mobilier si familier de la bibliothèque de consultation des infirmiers, sur le cadran mural les grandes aiguilles du temps universel étaient alignées sur le chiffre 11, il tourna de nouveau son regard vers la plaque de plasma sertie où clignotait le point rouge d’une ligne d’écriture, sur l’écran il lut :
[Fin provisoire de connexion – Délai dépassé – Veuillez reformuler votre requête d’admission au central d’informations]
Machinalement, il passa la main devant l’écran pour éteindre le moteur de liaison, tira son siège en arrière et se baissa pour rassembler ses affaires. Ce rêve il l’avait déjà fait à plusieurs reprises. Mais c’était peut-être la première fois qu’il allait aussi haut et aussi loin dans la tour… Cela se passait toujours de la même manière, mais il redoutait maintenant d’en connaître la suite.
Marc lui avait souvent parlé de la valeur des rêves qui, disait-il, sont une chose précieuse. «.. il nous réveillent et nous révèlent …C’est une chance que tu as Jonas… la plupart d’entre nous, ou presque, ont perdu la faculté de se souvenir des images du sommeil…». Un soir, Marc avait posé, sur la table de la cuisine, à la fin du repas, un curieux petit objet rectangulaire. Devant mon regard interrogateur il avait précisé «Je me doutais que tu ne savais pas que c’est… Voici un livre Jonas ! Il parle justement des images du sommeil… Cela s’appelait les rêves»
Jonas soupesa l’objet, en examina les côté, fit jouer les feuillets entre son pouce et son index. Les feuilles très fines assemblées sur un bord comprenaient des milliers de signes de petites dimensions. Alors ça ressemblait à ça un livre. Effectivement il n’en avait jamais vu. Il reposa posa le volume sur le plateau en alu
« L’autre sommeil » était-il écrit en caractères gras sur la couverture. Soulevant celle-ci, il lu en troisième page une citation d’un certain Dr Freud :
« D'ordinaire, quand nous sommes éveillés, nous traitons les rêves avec un mépris égal à celui que le malade éprouve à l'égard des idées spontanées que le psychanalyste suscite en lui. Nous les vouons à un oubli rapide et complet, comme si nous voulions nous débarrasser au plus vite de cet amas d'incohérences.
Notre mépris vient du caractère étrange que revêtent, non seulement les rêves absurdes et stupides, mais aussi ceux qui ne le sont pas. Notre répugnance à nous intéresser à nos rêves s'explique par les tendances impudiques et immorales qui se manifestent ouvertement dans certains d'entre eux. »
- Je connais bien les théories de ce médecin avais-je lâché en repoussant l’ouvrage. Dis donc Marc, tu me prends pour un môme inculte ! Et puis c’est interdit ces… enfin les livres ! Enfin tu joues à quoi ?
- Ou tu crois les connaître !... Certes ceci n’est qu’une version vulgarisée de la science des rêves, avait ajouté Marc… Habituellement on n’en trouve que des extraits sur la base du central d’informations… Le chapitre II est particulièrement éclairant en ce qui te concerne…. Pour répondre à ta seconde question, j’ai acquis cet objet il y a quelques années lorsque la vente en était encore autorisée. J’en ai conservé plusieurs ici malgré la loi d’éradication… Quand tu voudras les lire il faudra venir ici. Ils ne peuvent pas sortir… Tu comprends pourquoi ? Voici un double des clés de l’appartement, ils se trouvent dans la pièce du fond, au bout du couloir.
Bien sûr qu’il comprenait. Trois mois s’étaient écoulés depuis ce jour et Jonas avait volontairement abandonné la clé dans un tiroir de sa cellule au bloc des soignants novices. Puis la clé avait refait surface au moment de rendre la cellule. L’après-midi même il se rendait chez Marc.
Maintenant, il tenait le livre fermé entre ses mains et caressait la couverture. Un moyen pour lui de repousser l’échéance de la lecture. Jusqu’à ce jour, Jonas refusait d’admettre que les images qui lui parvenaient dans son sommeil pouvaient être le reflet de quelque chose qui était caché au plus profond de lui. Ce refus violent ne faisait que traduire l’immense peur qui le submergeait à l’idée de découvrir la vérité sur les démons qui sommeillaient en lui.
Mais les rêves liés à l’Hélice s’étaient multipliés au point que chaque nuit le plongeait dans une terrible tourmente. Il en venait même à redouter le moment où le sommeil l’emportait comme si Morphée s’était transformé en une bête féroce en quête d’une proie à dévorer.
Dans un premier temps, il avait essayé de lutter en avalant de fortes doses de néo-caféine pour repousser le moment où tout basculait, mais son corps finissait toujours par le lâcher en sombrant dans les profondeurs abyssales de la nuit. Épuisé, il avait même fini par subtiliser des somnifères dans la pharmacie du laboratoire. Rien n’y faisait, bien au contraire. Chaque rêve devenait de plus en plus terrifiant et chaque réveil de plus en plus douloureux. Et c’est bien là qu’était le problème. Ses nuits mouvementées avaient fini par prendre le dessus sur sa vie en le faisant sombrer dans une profonde mélancolie.
Marc avait vu la santé du jeune homme se détériorer jour après jour. Il fermait même les yeux sur les vols de médicaments. Il pressentait qu’il ne pouvait pas pour le moment lui venir en aide : c’était trop tôt. Pourtant il faudrait bien… Marc avait tout compris et ce dès leur première entrevue. Il avait attendu que Jonas en parle le premier. Quand ce jour arriva. Il l’avait écouté sans rien dire, un mot aurait inhibé les paroles du jeune homme. Entendre tout simplement.
Lorsque le monologue de Jonas toucha à sa fin, Marc était allé fouiller dans la pièce au fond du couloir et en était ressorti avec le fameux livre...
Plongé dans le noir de la bibliothèque depuis plus d’une heure, Jonas repensait à cet instant en manipulant l’objet entre ses doigts.
Il alluma la lampe posée sur le sol de la pièce et commença à lire.
[...]