Amorces (5)
Friche, La levée, Tavier sont les trois premiers textes d'un récit qui pour l'instant a pour titre "Amorces". Je n'ai aucune idée de ce qui va advenir de ces personnages, apparus un jour de forte fièvre ... Ceci est donc une invitation à ceux qui auraient envie d'en écrire la suite autrement dit ces amorces sont une proposition d'écriture.
5 - Les égarés
C’était surtout la nuit que les sauts se multipliaient. Je me demandais même si, les soirs de pleine lune, la cadence ne s’accélérait pas. Il aurait fallu tenir les comptes pour en avoir la certitude. Morbide idée…
Ce soir là, c’est en remontant la rue du saut de l’ange que j’avais croisé son regard. J’avais tout de suite compris. Mais je n’avais rien fait. A force, plus personne ne tentait quoique ce soit pour les en empêcher.
Arrivé chez moi, j’avais décroché le téléphone et je m’étais glissé sous la douche. La journée avait été dure. Dans le siphon de la baignoire, tout s’évacuait avec l’eau savonneuse. C’était un rituel pour évacuer le stress de la journée. Dans mon travail, c’était plus qu’une nécessité, c’était un moyen de survie. Mais ce regard était toujours là. Plus présent encore même, comme si son souvenir cherchait à me renvoyer ma lâcheté en pleine face, jusqu'à l'insupportable.
Bouleversé, j’avais remis les habits que je venais de quitter et qui traînaient encore sur le sol de la salle de bain et je sortais en courant en direction de l’Hélice. Mais c'était peut-être déjà trop tard! [C.G.]
Je m’étais faufilé sous un des nombreux trous du grillage qui servait de passage aux « candidats volants » de l’Hélice. La zone entre la palissade grillagée et le pied de la tour n’était pas très bien éclairée. Quelques projecteurs diffusaient une pluie de brume légère. J’avançais avec peine entre les baraquements et les engins. Ceux-ci ressemblaient à de grosses bêtes endormies. J’accrochais du bout du pied un morceau de ferraille qui, en se détendant, me cingla les mollets. Si la fille était passée par là, elle avait du rencontrer les mêmes obstacles et donc n’avait pas beaucoup d’avance sur moi. Comme j’escaladais un talus, je vis sur ma droite une étrange procession qui avançait, elle aussi, en direction de la tour. Je cru reconnaître un groupe d’enfants qui marchaient l’un derrière l’autre en suivant le faisceau serré d’une lampe torche. Je n’aurais jamais pu imaginer ça… des enfants !
L’entrée de la tour se faisait par une rampe qui descendait en pente douce sous l’immense cylindre de béton. Je regrettais de n’avoir pas pensé, moi aussi, à me munir d’une lampe, mais le groupe d’enfants ouvrait le chemin.
A l’intérieur, la résonance était telle que je craignais qu’ils n’entendent le bruit de mes pas sur la dalle de béton. Nous avions dû marcher comme ça dix bonnes minutes quand soudain, la lampe s’était éteinte. Je m’étais immobilisé, suspendu dans le noir le plus complet. Chose étrange, je n’entendais plus leurs pas, fais des nués de froissement de tissus ou de caoutchouc, à droite, à gauche, derrière, tout près. Je venais de comprendre que je n’étais pas seul dans l’obscurité de ce sous- sol à suivre les enfants mais que probablement des dizaines d’autres personnes étaient là autour. Je m’étais mis à genoux et à tâtons, j’avançais en direction du souvenir qu’avait été la dernière lueur. J’entendais sur ma droite des gémissements, plus loin un choc contre une paroi métallique suivie d’une vibration de gong… Mes mains heurtèrent l’angle d’un mur que je suivi encore sur quelques mètres. Je sentais une arrivée d’air tiède qui coulait du haut. Je mis le pied sur la première marche d’un escalier de ciment. Une marche, puis une autre. Je commençais à monter en tournant dans une cage en pas de vis.
Arrivé au troisième étage (du moins c’est ce que j’avais compté) une faible lueur bleuâtre ruisselait au sol, provenant visiblement des petites découpes circulaires pratiquées assez bas dans le mur. Je commençais à mesurer l’étrange situation où je m’étais fourré. Même si je parvenais à retrouver cette femme (le diable l’emporte elle et son regard de reproches !) et à empêcher ces enfants de commettre l’irréparable, je ne pourrais pas (plus ?) sortir de la tour en pleine nuit. Il faudrait attendre le matin et là je risquais de tomber sur les patrouilles sanitaires qui venaient ramasser les égarés de la nuit.
Une main me poussa par derrière, suivie d’un râle rauque, je me plaquais contre le mur. Dans la semi pénombre, je vis glisser la forme d’un corps, puis d’un autre… J’en laissais passer ainsi plus d’une dizaine avant de me décider à continuer mon ascension.
La pluie s’était intensifiée et le bruit de l’eau qui tombait sur les poutres métalliques résonnait dans mes tympans au point d’en devenir douloureux. Les marches défilaient sous mes pieds : une par une, puis deux par deux. Tout s’accélérait… comme si l’Hélice commençait à avoir son effet dévastateur sur moi.
Lorsque j’avais de nouveau aperçu la lumière de la lampe torche, j’ignorais à quel étage je me trouvais exactement. J’avais arrêté de compter au bout du trentième… C’est en commençant à me faufiler entre les étais que j’avais fini par la revoir. Sa silhouette se dessinait à travers le clair obscur de l’ouverture d’une des parois, prête à commettre l’irréparable. Puis une seconde plus tard, plus rien. Dans un dernier élan, j’avais crié « non ! » en courant vers elle. Mais c’était trop tard, le vide l’avait déjà entraînée. Mon hurlement s’était répercuté sur les murs de béton : le son s’était engouffré dans la tour qui l’avait recraché dans un effroyable écho. Épuisé, je m’étais laissé glisser le long d’une paroi. Assis la tête entre les genoux, un sentiment de culpabilité m’étouffait.
- Ne sois pas triste, elle a été choisie. Tu n’y peux plus rien maintenant !
La lumière de la lampe torche braquée vers moi m’aveuglait, j’avais du mal à discerner son visage. C’était une fillette.
- Viens, ne reste pas là.
Les enfants ! Je les avais oubliés. Mon cri avait dû les alerter et ils se tenaient tous autour de moi maintenant. J’avais du mal à réaliser ce qui m’arrivait, tout était tellement irréel.
- Viens j’ te dis ! Ne traîne pas ici. Il pourrait revenir pour te prendre toi aussi !
Sa main s’était glissée dans la mienne et elle me tirait pour m’encourager à me relever. Le groupe s’engageait de nouveau dans l’escalier.
- On doit continuer à monter. Tu vois bien qu’il ne faut pas rester ici !
[C.G.]Les enfants semblaient connaître les moindres recoins de ce dédale de couloirs, de salles et d’escaliers. La plupart du temps, la torche restait éteinte, mais cela ne semblait gêner en rien leur déplacements. De temps en temps le pinceau s’allumait et balayait rapidement le mur ou le sol. Puis la marche reprenait à la même allure. Nous avons continué notre ascension de la tour ainsi pendant un bon moment. Au bout d’un moment, j’ai fini par comprendre : à chaque fois, le rayon lumineux révélait une inscription E555, NS4, 2-SE… Parfois nous redescendions d’un étage et après un grand détour nous en gravissions deux ou trois d’un coup. Je commençais à être essoufflé et surtout je me demandais maintenant pourquoi j’avais consenti à les suivre… Je lâchais la main de la fillette qui me précédait. Posant un genou à terre, je tentais de reprendre ma respiration. Soudain, j’eu la nausée, j’étais pris de vertiges.
- C’est l’altitude…
- Oui, c’est normal, il n’a pas l’habitude !
- Attendons un peu…
Des frissons me parcouraient la nuque et mon dos, mes jambes flageolaient. Je voulu me relever, mes forces m’avaient abandonnées. Je m’affaissais.
- Ca va monsieur ?
- Et monsieur ?
- Ca va Jonas ?
J’avais sursauté en entendant mon prénom ? Comment pouvait-il le connaître ? Que se passait-il ? J’aurais voulu le leur demander, mais j’étais maintenant couché sur le sol froid, le corps entier secoué de spasmes… Je sentais des ombres s’agiter sur ma tête, je mangeais du sable, un long toboggan m’aspirait par les pieds … Et puis ce fut le noir total.