Des boules, un grain
(Graphisme à Chaumont, 19e édition)
1 / Circus : « Entre la place de la Gare et l’Entrepôt des Subsistances, le public est invité à une déambulation littéraire, à parcourir les rues comme on parcourt les pages d’un livre ». Ce travail d’affichage de Fanette Mellier réalisé dans le cadre de sa résidence à Chaumont se veut un « parcours typographique urbain à partir d’un texte de l’auteur Laure Limongi. ».
En attendant de pouvoir lire le texte qui a inspiré ce (court) circuit de signes, les petites mains de la rue se sont chargées d’y ajouter de nouvelles formes et d’en soustraire quelques autres. (Ainsi va la vie des affichages.)
2 / Rétrospective de Josef Müller-Brockmann, aux Silos
Avez-vous foulé la moquette en forme de croix blanche? Avez-vous tiré la cloche de la vache alpine? Avez-vous vu le coucou qui fait tic-tac ? Avez-vous apprécié les références tapissées qui déclinent les époques et, sans lesquelles, ces affiches d’ameublement seraient redevenues de banales affiches ? Avez-vous remarqué les petites photos encadrées avec kitch qui ponctuent l’espace d’exposition ?
3 / Uncle Toby's Bowling Green (Le Boulingrin de l'Oncle Toby) – Paul Cox
Dans la chapelle des Jésuites qui « depuis cinq ans, est devenue le lieu d’élection des recherches graphiques contemporaines. La singularité de l’architecture baroque de l’édifice constitue un défi pour les graphistes intervenant dans le lieu générant de fantastiques projets autant en dialogue qu’en rupture avec le lieu. En 2008, le Festival de Chaumont invite le graphiste français Paul Cox à se saisir de cet espace. »
La proposition de Paul Cox occupe l’espace central de la chapelle. Elle se présente sous forme d’un immense plateau (13 mètres sur 10) supportant des coques de résine aux couleurs très vives, figurant un paysage vallonné ou, si l’on veut, une sorte de golf miniature. Des tracés, des inscriptions cartographiques, des chiffres, ponctuent la surface verte. Des trous sont aménagés au flanc d’une bosse ou dans un creux. Les visiteurs sont invités à y lancer des boules, comme on le fait d’ailleurs dans le jeu du boulingrin.
« Lorsque l’invitation m’a été donnée d’exposer dans la Chapelle des Jésuites dans le cadre du festival de l’affiche et du graphisme, mon premier souhait a été de ne pas faire une exposition de caractère rétrospectif, de ne pas montrer de travaux passés, mais de réaliser une œuvre spécifique pour l’occasion. Je décidais de considérer la Chapelle comme une page déjà inscrite et d’y ajouter quelque chose.
Comme toujours, lorsque je prépare une exposition, j’ai commencé par passer un long temps dans le lieu, essayant de définir quelle forme m’inspirait cette architecture si affirmée. Par goût du contraste, je décidai que la verticalité de la Chapelle appelait un contrepoint très horizontal, très étale, et que ses angles brisés induisaient une réponse courbe et sensuelle. Ce fut là mon point de départ, purement formel : l’intuition d’une présence spatiale à la fois horizontale et ondulante. Sur cette situation initiale, j’ai ensuite développé des thèmes qui m’intéressent : le paysage, la carte géographique, la participation des visiteurs, la construction d’un ensemble à partir de modules. »
« Quel rapport avec l’affiche et le graphisme, me direz-vous ? Je suis un peu graphiste, à ma façon, mais je suis aussi peintre, scénographe, illustrateur, auteur de livres, pour enfant et pour chacun. J’ai voulu suggérer, par cette pièce volontairement un peu décalée par rapport au contexte du festival, l’importance, à mes yeux, de la transdisciplinarité, et que le graphisme (sans en rien questionner sa spécificité) est un des nombreux constituant des arts visuels. »
« J’ai donné à l’exposition le titre « Uncle Toby’s Bowling Green (le boulingrin de l’oncle Toby) en référence au roman de Laurence Sterne « Tristram Shady », et à la maquette (le boulingrin) qui occupe une place centrale. D’une part parce que Sterne fut un des premiers et des rares écrivains à accorder une attention toute particulière à la forme de son livre […] et qu’à ce titre il fut à sa façon graphiste et transdisciplinaire. D’autre part, parce que, et bien que très excentriques, il fut un clergyman, et que donc il ne me semblait pas inopportun de lui rendre ce modeste hommage en construisant un jeu dans une chapelle.
Mais cette plaisanterie a un fond sérieux. La difficulté d’atteindre les trous avec les balles rappelle éventuellement que le plaisir réside davantage dans le chemin parcouru que dans le but atteint, et si par le hasard des bosses on atteint un autre trou que celui qu’on visait, eh bien c’est un peu comme dans la vie. » *
Chaumont, 01-07-08
J’ai lancé quelques boules (en ratant ma cible) et j’ai repensé au jeu du tonneau…
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* Texte de présentation de Paul Cox, affiché à l’attention des visiteurs sur un des piliers de la Chapelle des Jésuites.