En rade
La voix d’un chirurgien, au bout du fil, comme un retour du réel, m’annonce le décès imminent de ma mère, dans un hôpital de Toulon. Six cents kilomètres et huit ans de silence nous séparaient déjà, mais je redoutais d’apprendre, un jour ou l’autre, cette nouvelle de la voix d’un étranger. Ma mère n’aura donc pas souhaité rompre la glace qu’elle avait dressé entre nous sur un de ses coups de tête dont elle avait le secret. Le temps de prévenir mon frère et je prends l’autoroute du sud, l’esprit chargé par toutes les questions sans réponse qui roulent, grondent.

A mon arrivée, c’est un orage qui éclate sur la ville. Je regarde la rade noyée, je tourne dans l’appartement où tout est resté tel que je l’avais vu, lors de ma dernière visite. Je cherche un mot ou un signe qui permettraient de comprendre l’inexplicable. Rien de tangible.

Sur un carton corné, je trouve une liste de quelques numéros de téléphone. Parmi les noms je reconnais ceux d’amis à mes parents. Je les joins avec une certaine appréhension. Ce que pourtant je craignais le plus, à savoir des reproches ou des sermons, s’évanouit au fur et à mesure des appels. La glace n’était pas dressée qu’entre moi et ma mère. Elle avait fait le vide autour d'elle.
Tous s’interrogent sur cette soudaine rupture, survenue il y a huit ans, à la mort de mon père. C’est sans doute là l’une des raisons qui expliquerait cet isolement volontaire. Je ne comprends pourtant pas davantage, mais je découvre que je n’ai pas été le seul à nager en eaux troubles dans cette traversée.
A la maison funéraire, j’apprends que ma mère avait tout réglé pour ses funérailles, au détail près, ne souhaitant ni annonce publique, ni fleurs ni personne. Pourtant à ma grande surprise j’observe qu’elle avait choisi que son corps soit exposé une heure avant la fermeture de la bière. Pour qui ? Le jour des obsèques nous ne serons d'ailleurs que très peu de personnes.
La mort peut séparer ou réunir les vivants. Ici étrangement, ceux qui restent, et qui étaient éparpillés, recousent leurs souvenirs, raccommodent leurs mémoires.
Une douleur partagée est moins lourde même si les questions restent parfois sans réponses.
Une douleur partagée est moins lourde même si les questions restent parfois sans réponses.