L’esprit d’escalier

Publié le par ap

1-  Balla – Duchamp (laisse prit dès ce cas lié)

... l’escalier, que l’on monte ou que l’on descend, comme façon de penser, toujours à rebours, avec en ce qui me concerne, ce temps de retard sur l’évènement.... et puis cette peinture de Giacomo Balla, « L’escalier des au revoir », datant de 1908, et dont j’ai lu le commentaire, ces jours-ci, sur le site de la Sorbonne.

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Giacomo Balla  « L’escalier des au revoir », 1908,  [sources]

 

Donc, je m’aperçois que je connaissais mal ce versant de l’œuvre du peintre italien, membre fondateur du mouvement Futuriste. Ceci étant, comme les œuvres Futuristes ne m’ont jamais vraiment excitées, je n’avais pas songé à regarder de plus près le parcours de ce peintre ou celui de son ami Boccioni…

C’est incroyable de constater à quel point l’Histoire de l’Art et les musées font comme coupes sombres afin de mettre en avant les particularités des mouvements esthétiques qu’elles définissent. A force de schématisation, de classement ou de tiroirs, on finit par ne plus rien voir d’autre que les étiquettes collées sur les boîtes et les cartes postales rangées à l’intérieur…

En fin d’article, une chose, cependant, me fait sursauter. L’auteur y écrit : «  En 1912, Duchamp escaliérise son nu dans un effet de bougé  resté célèbre. Balla, en l’occurrence, n’en est pas encore là, qui tire, en revanche, son anecdote peinte du côté de la métaphysique. »

Si le néologisme me semble bien trouvé pour cette peinture de Duchamp, je ne partage pas totalement cette proposition.

Historiquement d’abord, Le manifeste Futuriste date de 1909, soit un an après cette peinture de G.Balla, encore très figurative (ce qui, à priori, à de quoi interroger sur la rupture subite du style de ce peintre), ensuite, parce que, dès 1912, Balla, tout comme Duchamp, explorent les effets graphiques de la transposition du mouvement  emprunté aux travaux photographique de Marey ou de Muybridge. Les différentes études et croquis préparatoires aux peintures de ces deux artistes en attestent.

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Etienne Jules Marey "étude sur le saut et la locomotion", 1883

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G. Balla "Schéma mécanique du mouvement des jambes", 1912

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G. Balla "étude de mouvement de jambes" , 1912

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G. Balla "croquis pour jeune fille courant sur un balcon" , 1912

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G. Balla  « Jeune fille courant sur un balcon » , 1912


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Edward Muybridge  « Nu descendant un escalier », 1887

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Marcel Duchamp "Nu descendant l’escalier (1)", 1911

 

Certes, la première étude de Marcel Duchamp pour son « Nu descendant l’escalier » date de 1911, mais les bases posées par le cinéma et la photographie montrent seulement que tous deux (Duchamp et Balla)  ont su reprendre au vol les résultats des travaux de leurs prédécesseurs.

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Marcel Duchamp « Nu descendant l’escalier (2) », 1912

 

 

 

Chose intéressante à relever, chacun des deux artistes traduit l’idée de mouvement par une facture picturale proche du style qu’il pratique à l’époque.

Duchamp est marqué par l’esprit Cubiste (géométrisation formes) et Balla par le Divisionnisme Post Impressionniste (tentative figurative de restitution de la lumière par un jeu de touches chromatiques).

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Il semble pourtant que Duchamp s’inspire davantage de Muybridge, tout au moins par le sujet, et que Balla se rapproche de Marey pour l’aspect mécanique et géométrique (voir les croquis ci-dessus). Pourtant, en définitif, le nu de Duchamp est plus abstrait dans l’esprit que la petite fille ou le chien de Balla.

02-07-1.jpg. Duchamp « Nu descendant l’escalier (2) », 1912 –  G. Balla – « Effets dynamiques d’un chien en laisse »,1912

 

En revanche, très rapidement, le travail de G. Balla va s’orienter vers une radicalisation géométrique.

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G. Balla « étude de mouvement de roues », 1912

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G. Balla « Vélocité de la motocyclette »,1913

02-07-1.jpgG. Balla « Le bruit perçant du motocycliste »,1913

 

On observera que la présence de la spirale, ici comme élément de composition, n’est pas sans rappeler le motif de la rampe de l’escalier de 1908.

Si Duchamp escaliérise son nu alors on peut dire que Balla spiralise les engins à moteur, les rouages et autres pignons et engrenages choisissant étonnamment de représenter l’idée de vitesse (ou du bruit) par ces jeux de courbes entrelacées, d’arcs démultipliés, créant par le rayonnement qu’elles déploient dans l’espace du tableau l’idée d’un écho ou d’un vertige.

Ce vertige, dont parle Robert Judith dans son article, n’est peut-être pas tant celui d’une disparition au sens où il en parle : « Cueillies en douceur par la machine infernale que se trouve être ce dispositif en forme de vis, ces femmes, vont voir leur espace vital progressivement diminuer. Et le personnage en noir, qui accompagne ces visiteuses, de se révéler soudain à nos yeux : la Mort, qui a fait le trajet de l’aller avec ces femmes, repart avec celles qui vont devenir ses proies. Leurs civilités accomplies, ces bourgeoises seraient-elles en train de prendre congé de l’existence ? […] Derrière cette scène de genre, il nous semble que perce une allégorie. ».

Ne pourrait-on pas y voir davantage le congé que s’apprête à prendre le peintre lui-même, avec une esthétique picturale encore marquée par la tradition, et dont la spirale de la rampe serait, de part sa structure, la promesse d’une résolution ?

[…]

Publié dans Réplique(s)

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