Paris, peut-être (William Eggleston)

Publié le par ap

Il y a une longue tradition qui a fait des grandes capitales les lieux privilégiés de promenades photographiques. Nombreux sont ceux qui ont dessiné, au cours des années, différents profils de Paris. Les images de William Eggleston, qui sont actuellement présentées à la Fondation Cartier, apportent ainsi leurs contributions à ce portrait mouvant.

L'ensemble des petits formats, qui se déplie sur les murs de la première partie de l’exposition, donne à voir des photographies réalisées au cours de trois séjours succéssifs (de 2001 à 2007) que l’artiste a effectuésdans la capitale. Le choix d'un accrochage simple et linéaire traduit assez bien dans son enchaînement l’idée d'une traversée, nous invitant, par l’alternance des vues rapprochées, à considérer au plus près les signes qui composent la trame graphique de cette ville. Dès les premières images, le ton est donné, il ne s'agira pas de montrer un  visage complaisant de Paris, une vision attendue, mais rompre avec les clichés. 

Eggleston s’attache ainsi, à sa façon, à pointer son objectif sur des fragments de façades bariolées comme des peintures de Kenneth Noland ou des vitrines flamboyantes aux parfums vaguement exotiques, à lever le nez au ciel pour contempler un nuage, ou encore à s'attarder sur les motifs imprimés (réclames, toiles cirées, devantures) qui affichent les relents d’une culture Néo-Pop. Paris est là, aujourdhui, n'en déplaise aux nostalgiques de la baguette, dans une canette de coca-cola enfermée dans le film transparent d'une poubelle, Paris est là dans les reflets d’un trottoir humide zébré d’éclairs fluorescents que traverse la silhouette d'un piéton, évoquant les fameuses images de ces parisiennes (de Cartier-Bresson ou  de Ronis) sautant par-dessus les flaques des caniveaux. Paris est là entre les peintures écaillées d'une baraque foraine et les panneaux publicitaires lacérés de Villéglé, dans les cageots de Ponge, dans ses enseignes aux néons suspendues à l'angle des rues grises, à l'étallage des bouquinistes qui aiment le mélange des auteurs et des genres. Paris est là dans ses sièges de bar en plastique, dans ses plantes en pot, dans son crachin d'automne et sa lumière estivale.


Paris est aussi figurée par ses habitants et les visiteurs qui la sillonnent : ici, le mollet délicat d'une jeune femme se détachant sur les pavés, là, une passante coiffée d’une cloche mauve, qui semble sortir d’un tableau de Vuillard, d’autres s’abritant d’une averse dans un jardin, puis des ouvriers et des touristes, ailleurs des enfants qui s’avancent en dansant vers des jets d’eau interdits,  des bustes de chair ou de pierre, des silhouettes qui s’effacent et se fondent dans l’arrière plan d’une rue, ou encore, à la sortie du métro Bastille, cette mendiante au visage inquiet qui ravive le souvenir de ce très beau portrait de Dorothea Lange (Mère migrante), pris en 1936 dans le sud des Etats Unis, au moment de la Grande Dépression. 

 

Dans le fouillis des signes, dans l’interférence des graffitis et des tags, le long des palissades aux couleurs criardes, s’écrivent les invariants des traces de la modernité. Car au fond, il s’agit bien d’abord de cela : rendre compte de Paris comme de n’importe quelle autre ville, dans ce télescopage de l’Histoire et de l’histoire des images, prélever les bribes de ce qui figure une Ville, aujourd’hui, Paris peut-être...

 

En contre-point (ou en écho) à ce chemin émaillé de douceurs et d’acidités, de tendresses et de violences, d’illusions et de faux semblants, Willam Eggleston propose des dessins de petits formats.

Ceux-ci, visiblement réalisés sur un mode automatique, ne sont pas figuratifs ; ils condensent, par strates, tout un vocabulaire graphique : points, lignes, spirales, virgules, hachures nerveuses. Tous (ou presque) sont tracés au feutre ou au crayon de couleurs rappelant aussi bien, par l’enchevêtrement des lignes les premières compositions de W. Kandinsky que celles de F. Stella, ou encore, justement, ces tags qui envahissent les murs, colonisent toutes les surfaces urbaines et qui sont présentes dans plusieurs de ses clichés.


La seconde partie de l’exposition insiste d’ailleurs - comme c’est  le cas pour le livre édité à cette occasion - sur un vis-à-vis entre ces deux registres d’images. Au mur se trouvent une série d’encadrements rapprochant dessins et photos, sans chercher à priori à établir une relation de coïncidence immédiate de l’un à l’autre. L’un de ces montages, par exemple, associe d’un côté une petite composition verticale aux couleurs très vives (jaune rouge et mauve) et de l’autre la photographie d’un portique de cintres auxquels sont suspendues des robes noires. Cette confrontation insolite est encore visible dans deux des trois vitrines où figurent d’autres essais, ainsi que de probables maquettes de mise en page du livre.


En y regardant de plus près, c'est-à-dire en faisant abstraction des sujets photographiés, on comprend cependant que ce sont des questions analogues qui se tissent dans ces deux univers, profondeur, contact des masses, perturbation des plans, enfouissement sont présents de façon équivalente dans ces deux modes de représentation, l’un aiguillant l’autre.

Ce que Eggleston nous livre ici de façon sensible, pas ses dessins, c’est tout autant sa façon de voir, d’envisager que d’écrire le réel qu’il découpe autrement dans son viseur, et dont Paris (ou Memphis) ne serait pas le sujet mais le réservoir.

 

Le nuage qui s’étire sur l’azur vaut bien la tache de rouille qui ronge l’aile d’une voiture, la courbe d’un rétroviseur de scooter n’est pas si différente de la bouille de mickey, la vibration d’un écran végétal dialogue avec des traces de doigts sur la poussière d’une vitre, la procession des cintres peut aussi s’avérer être une procession de saints. Ici la métaphore est partout à l’œuvre parce que derrière l’image se tient une autre image nourrie de toutes celles qui ont précédé et qui ressurgissent ici par bribes. Eggleston ne photographie pas seulement avec ses yeux mais peut-être, et surtout, avec sa mémoire, non pas de façon préméditée mais sur le principe de la rencontre, de l’affleurement : le sujet qu’il croise révèle souvent l’image qui sommeille.

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William Eggleston I Paris

Fondation Cartier

Publié dans photographie

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S
Oui, ben oui, je comprends bien. J'ai beaucoup aimé cette expo. Rencontrer les images d'Eggleston pour de vrai a été un grand moment !
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