Que reste-t-il?

Publié le par ap

(Oskar Schmidt)


« Une jeune fille dans une robe courte d'été est agenouillée sur le plancher nu, absorbée dans un livre. Chaque fibre de son corps semble être tendue. La pose quelque peu artificielle contraste nettement avec l’attitude détendue à laquelle invite habituellement l’activité de la lecture. Le grand format de cette « fille avec un livre » peut-être considérée comme exemplaire du processus créateur d'Oskar Schmidt.

Au travers de ces univers, dont les images sont méticuleusement construites, le photographe cherche à s’émanciper de la fonction de démonstration empirique qui reste encore attachée à ce médium. L'intérêt n'est pas centré sur la reproduction d’une réalité matérielle mais sur le dépassement poétique du motif. Les poses de ces jeunes filles, élaborées hors de toute anecdote, donnent aux figures une grande présence physique. Néanmoins, l’effet conscient d’une exaltation physique, proche de la perfection, ne cherche en rien à s’inscrire dans le registre d’une provocation à connotations sexuelles et encore moins à susciter du désir. Au lieu de cela, l'observateur, pris dans la contemplation de la pureté de ces formes idéalisées, ne peut que se projeter dans ces figures. L'assimilation de l'image passe par la reconnaissance de cet état éphémère donné, devenant un acte autoréflexif. Derrière le témoignage douloureux d'une sensation irréparablement perdue se trouve la tentative d’atteindre au sentiment d’une sorte d'éternité, hors de la matérialité de l’espace et de la perception du temps. »


Oskar Schmidt – Jeune fille au livre, 2005                                                  Balthus – Le salon II, 1942

 

On peut s’étonner que cette courte présentation de Thilo Scheffler, rédigée au sujet des photographies de Oskar Schmidt, n’évoque pas un instant l’emprunt direct et évident que ce dernier fait aux peintures de Balthus et ce plus particulièrement pour la photographie intitulée Jeune fille au livre.

Que ceci relève de la volonté désormais banale d’occulter les références directes ou indirectes d’un travail contemporain aux œuvres du passé ou plus simplement d’une ignorance sincère de son auteur (ce dont je doute) ne peut, dans un cas comme dans l’autre, que prêter à confusion.

 

Les seules questions qu’il semblerait pourtant utile de poser, pour y voir clair, sont précisément celles qui touchent aux citations explicites des œuvres de Balthus auxquelles procède le photographe.


En observant un grand nombre de ces images, réalisées entre 2005 et 2009, on peut se rendre compte que ce n’est souvent qu’un fragment des tableaux qui sont utilisés : une figure sur deux, ou un simple élément du mobilier… Par ailleurs, si les postures imitent au plus près les gestes de certains des personnages figurés par Balthus, ni les costumes, ni le contexte ne sont restitués ou reconstitués. Ainsi, la citation semble agir ici sur le principe de l’extraction minimale mais suffisante (tout au moins pour les figures) pour que la reconnaissance s’effectue sans difficulté (pour un spectateur familiarisé aux œuvres du peintre).

Le procédé n’est certes pas neuf et l’histoire de la photographie de son origine à nos jours ne manque pas d’exemples de ces jeux  d'emprunts, avant que ce ne soient les photographies elles-mêmes qui finissent par servir de point de départ, ou de modèle, à des peintres… Bref, qu’est-ce qui, partant de ce processus, peut bien faire l’intérêt d’une part du propos, et d’autre part de cette l’image ?

 

Risquons un début de réponse : le choix d’isoler dans ces tableaux des personnages, dont l’attitude au sein de la toile d’origine peut sembler étrange, équivoque - parce que forcée, outrée -, de ne retenir d’une composition que l’un ou l’autre des éléments du mobilier (une table, une bassine, un escabeau…), produit un éclairage singulier de la figure choisie, renforçant le caractère théâtralisé de la pose et, simultanément, induit une sorte de banalisation de la gestuelle, ou de la fonction des objets.

 

Ce qui dans les toiles de Balthus prenait son sens par la mise en scène générale d’une pièce baignée dans un jeu complexe d’ombres et de lumières, de rappels de formes, de rencontres incongrues, et bien évidemment du traitement pictural (tantôt velouté, tantôt rugueux) est ici clairement désamorcé. Le sujet ou l’objet posé dans un espace neutralisé redevient, sinon un possible modèle, tout au moins un simple acteur, ou un accessoire pour une prise de vue.

 

C’est dans cet écart, ce détachement et cette usure que situe visiblement la démarche de Oskar Schmidt et si les images obtenues ont  volontairement évacué toutes dimensions sensuelles et charnelles, malgré les sujets ou les poses, ce n’est pas à mon sens pour témoigner d’un « paradis perdu » de la fonction de l’image, mais bien pour en assumer, par ce jeu de déconstruction (décidément postmoderne), toutes les conséquences.


Publié dans photographie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
<br /> <br /> "Nues, des pièces très peu meublées et des femmes et des filles introverties, à peine présentes à leur environnement -<br /> les photographies extrêmement dépouillées d'Oskar Schmidt sont autant des portraits que des intérieurs. Les personnes et les espaces semblent familiers, mais ils restent mystérieux et légèrement<br /> inaccessibles. Ces images ne se concentrent pas sur les caractéristiques individuelles des lieux et des gens, mais beaucoup plus généralement sur leurs formes et leurs positions. Les femmes et<br /> les filles dépeintes sont des revenants, des personnages appartenant à l'histoire de l'art et rendus à la vie dans un nouveau moyen : la photographie. La réduction stricte dans les séries traite<br /> de ce qui est visible dans les photographies comme collection de signes bien connus - mais des signes  qui sont dissociés de leur contexte original et non immédiatement lisible.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pour son travail "des peintures de panneau," pour lequel il utilise une chambre photographique, Oskar Schmidt poursuit un<br /> principe pictural et crée un réseau sophistiqué d'allusions, citant les figures de Manet, Seurat et Balthus. Et, comme les peintres classiques, Schmidt fait poser ses modèles dans l’atelier, à<br /> maintes reprises, pour affiner une expression particulière. Rien n'est laissé au hasard : ni les plis d'une robe, ni un seul coin de l’image, ni la distance d'une chaise au bord du cadre, ni même<br /> une nuance de couleur ou un éclairage. Mais, précisément, cette recherche aigue d’une forme parfaite révèle les limites du médium photographique, recréer directement des peintures en photographie<br /> est impossible. La photographie apparait avec plus de dureté et de clarté, tandis que la peinture produit des imprécisions plus faciles à masquer. La photographie et la peinture ont chacune leurs<br /> propres lois formelles. Plus l’on tente de s’approcher de la peinture en photographie, plus il est évident que le photographe aura inexorablement à se déplacer plus loin. " (Steffen<br /> Siegel)<br /> <br /> <br /> __<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> « La photo en effet, sous l’apparente précision de sa machinerie, est un leurre qui<br /> fait lâcher la proie bigarrée du sensible pour l’ombre grise du cliché. » Jean Clair, Autoportrait au visage absent  Ed. Gallimard, 2008 (P.429)<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
O
<br /> For more information about the relationship between Painting and my photographs:<br /> <br /> http://www.co-berlin.info/co-neu/web/Formate/Talents/tal_2009/tal_2009_14/start_en.php<br /> <br /> or:<br /> <br /> "Bare, sparsely furnished rooms and introverted women and girls, barely present to their surroundings—the starkly reduced photographs of Oskar Schmidt are both portraits and interiors. The people<br /> and spaces seem familiar, but they remain mysterious and slightly beyond reach. These pictures do not focus on the individual characteristics of the places and people, but much more generally on<br /> their forms and postures. The women and girls portrayed are revenants, characters appropriated from the history of art and brought back to life in a new medium: photography. The strict reduction in<br /> the series treats what is visible in the photographs as a collection of well-known signs—but signs that are disassociated from their original context and not immediately legible.<br /> For his photographic “panel paintings,” for which he uses a large-format analog camera, Oskar Schmidt pursues a painterly principle and creates a sophisticated network of allusions, quoting figures<br /> from Manet, Seurat, and Balthus. And just like the classical painters, Schmidt brings his models back into the studio again and again to perfect a very specific expression. Nothing is left to<br /> chance: not the folds of a dress, not a single corner, not the distance of a chair from the image frame, not a shade of color or angle of light. But precisely this intense search for the perfect<br /> expression reveals the limits of the photographic medium, for directly recreating paintings as photographs is impossible. Photography looks harder and clearer, while painting makes imprecisions<br /> easier to disguise. Photography and painting each have their own formal laws. The closer one wants to get to painting in photography, the clearer it becomes that the photograph will move inexorably<br /> further away." (Steffen Siegel)<br /> <br /> Regards :-)<br /> <br /> Oskar Schmidt<br /> <br /> <br />
Répondre