D'une ténacité, l'autre
Ciné MA #01 est le premier volet d’un cycle de soirées proposé par la Maison de l’Architecture de Franche-Conté. Le principe de cette programmation, pour l’instant mensuelle, réside dans la projection de deux films où sont abordées, soit par la fiction soit par le documentaire, des questions relatives à l’architecture. Cette première séance était articulée autour de la figure emblématique de l’architecte américain Frank Llooyd Wrigth par le choix d’un moyen métrage de Peter Lydon, retraçant les moments de la genèse du Musée Guggenheim de New-York et celui d’un long métrage de King Vidor (The fountainhead – Le rebelle).
Réalisé en 1993, à l’occasion de la restructuration du Musée Guggenheim,entreprise dans l’intention de retrouver l’esprit et l’état initial du bâtiment conçu à la demande de Hilla Rebay pour y abriter les collections « d’art non figuratif » de Salomon Guggenheim, ce documentaire de Peter Lydon retrace, en s’appuyant tantôt sur des documents d’archives, tantôt sur la lecture de la correspondance entre l’architecte et ses commanditaires, tantôt sur des témoignages de proches, les différentes phases et les rebondissements de la création de la dernière construction de Wright. Le film met à jour les relations parfois mouvementées entre les différentes parties qui, en toile de fond de cette entreprise, ralentirent la mise en œuvre du chantier au point que Wright lui-même ne pu assister à l’inauguration de son dernier chef-d’œuvre en 1959.
De l’idée d’architecture organique à l’élaboration d’une « ziggourat », le fameux puits de lumière central qui constitue le hall du Musée, desservi par une rampe en spirale donnant accès aux étages, connut de multiples variations et aménagements, qui modifièrent le projet initial. Ce documentaire montre surtout les difficultés de concilier les attentes, les désirs des uns et des autres, confrontés à des réalités tant pragmatiques que financières. Il évoque aussi la conception architecturale de Wright, son dédain de l’architecture des grandes villes de la côte est où, nous est-il rapporté, les immeubles de verre et d’acier, « tout droit sortis de l’esprit d’une machine », ressemblent à « des armoires avec leurs compartiments réguliers », à des habitations sans âme, mais d’ajouter sa fascination que provoquent les lumières lorsque la nuit enveloppe ces cités.
Cet esprit visionnaire (et donc non conformiste), s’opposant à la médiocrité d’un modèle passéiste et mortifère est aussi, en partie, celui du personnage principal du film de King Vidor, interprété par Garry Cooper.
Datant de 1949, The Fountainhead est une adaptation du best-seller de Ayn Rand, écrivaine connue pour ses prises de positions aux côtés du sénateur Mac Carthy, et prônant « l’objectivisme », une philosophie mettant en avant l’individualisme et refusant toute idée de compromission. Bien que le film aborde cette dimension du propos, c’est davantage la trajectoire d’un homme intègre, sa détermination à ne pas céder aux goûts d’une époque et d’une société plutôt réactionnaire qui sont développées.
D’épreuves en échecs, et malgré une situation financière assez catastrophique, Howard Roark, jeune architecte brillant, ne cède sur aucun point en ce qui concerne son idéal, incarné par son travail. Fidèle au idéaux de son mentor, à qui il a succédé, c’est pied à pied qu’il défend ses projets au risque parfois de ne pas les voir aboutir. Cependant et malgré la "cabale" organisée contre lui par un critique d’art influent, travaillant dans un journal populiste (The Banner), quelques amateurs finissent par lui accorder leur confiance. Peu à peu, et contre tous, il finira par imposer sa conception d'un nouveau style.
Cette histoire, est aussi celle d’un amour complexe passionné et déchiré qui relie les principaux personnages, où le hasard, le doute, la passion, viennent eux aussi miner les certitudes. L’abnégation des personnages, l’intransigeance de part et d’autre, finiront par l’emporter sur les préjugés, la veulerie et sur la corruption. C’est tout au moins l’issue que propose la scène de l’ascension très lyrique qui clôt le film.
S’il apparait que la figure de Howard Roark reste très librement inspirée de celle F.L Wright - comme l’ont eux même souligné l'auteur et le réalisateur - ce qui les rapproche peut-être tient à cette ténacité dont tous les deux font preuve pour arriver à leurs fins. Des éclairages expressionnistes aux plans impeccablement construits, un rythme vif du montage, font de cette mise en scène un petit bijou cinématographique proche, par certains points, des réalisations de Capra.