Remarques brèves sur Joseph Beuys (6)

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Urgence


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Infiltration homogène pour piano à queue (1966) matérialise autant une impossibilité acoustique  - il est impossible d’en jouer !-  qu’une métamorphose de l’objet (animale ou minérale) par l’enveloppe qui l’habille. Le corps de bois noir et lisse de l’instrument est recouvert d’une peau de feutre grise qui dénature sa fonction autant que son apparence. L’enveloppe grise produit visuellement l’effet d’un pachyderme bancal (trois pieds) ou encore rappelle la structure architectonique d’un dolmen de granit.

Pour l’artiste cette matière (le feutre) représentait des vertus thérapeutiques ou magiques,  on notera cependant que, de façon plus pragmatique, le feutre est aussi le matériau qu’utilisent les déménageurs de piano pour amortir les chocs éventuels, prévenir l’accident, ou encore c’est que l’on dispose sur la tête métallique des marteaux qui frappent les cordes.

Beuys disait à propos de cette sculpture que « le piano devient le dépôt du son homogène, dont le potentiel est filtré à travers le feutre, et la relation à la situation humaine est indiquée par deux croix rouges signifiant l'urgence ».


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En 1985 Beuys réalise Plight, une installation qui reprend justement cette question en amplifiant le dispositif de mise en scène. L’accès unique au lieu oblige le visiteur à se baisser pour passer sous des rouleaux de feutre. À l’intérieur, la totalité des cloisons est recouvertes de ces mêmes rouleaux, empilés sur deux niveaux et sur toute la hauteur des cimaises. Dans la première pièce se trouve un piano à queue, sur lequel est posé (à plat) un tableau ainsi qu’un thermomètre. La sensation d’étouffement et de silence se dégage de cet espace comme si l’on venait de pénétrer dans un sanctuaire. Contrairement à Infiltration homogène pour piano, ici l’instrument est visible mais reste tout aussi muet que dans l’œuvre précédente et l’on se doute que, même en enfonçant une touche du clavier pour en vérifier l’acoustique, on n’obtiendrait qu’un son étouffé et sans résonance.
Replié sur le corps de l’instrument, le tableau noir rayé de lignes rouges sur le quel est déposé un thermomètre médical renvoie aux deux croix rouges qui signalait l’état d’urgence.

En 20 ans, Beuys nous a conduit de l’entablement d’un dolmen au cœur d’un sanctuaire mais l’urgence à soigner ce piano, cette société malade, est restée la même.
 

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