Pascal Kern (1)
J’ai rencontré le travail photographique de Pascal Kern dans les années 1980, en feuilletant une revue d’art. On y voyait, si mes souvenirs sont bons, les « fictions colorées » (reproduites en noir et blanc dans la revue!!). Les œuvres de Bernard Faucon Tom Drahos et Georges Rousse y étaient également citées. Il s’agissait, alors, de redéfinir une nouvelle approche de la photographie qui, pour dire rapidement les choses, mêlait les genres et échappait à l’idée de la seule prise de vue comme «constat (objectif) du réel».
1/ Fictions colorées
Pascal Kern « Fictions colorées »
Le travail sur les « fictions colorées », (titre générique) m’ intéressait surtout pour deux raisons : d’une part il interrogeait la mise en scène d’objets (pièces issues d’atelier de fonderies) posant directement la question de la nature morte (sujet qui me préoccupait), avec tout ce que pouvait avoir d’ambiguïté ces deux termes accolés (nature et morte) pour ces objets, et d’autre part, questionnait la mise à distance du sujet photographié par le jeu de la peinture recouvrant ces objets, ou, dans d’autres cas, par l’utilisation du principe du double (moule - moulage, réalité - fiction…).

Vallayer Coster Anne, (1744-1818) « Attributs du peintre et de l’architecte » - sources RMN
On retrouve d’ailleurs la permanence de ce motif dans les photographies de la fin du 19e siècle, plus par imitation d’un sujet classique de la peinture que par réelle nécessité de faire preuve de virtuosité.

Louis Emile Durandelle « Photographie de modèles en plâtre -Opéra de Paris- ,1870 – sources BNF
En fait, dès les débuts de la photographie, et pour des raisons très compréhensibles de temps de prise de vue qui était relativement longs, les photographes (Bayard, Daguerre…) avaient souvent recours aux objets ; la composition (arrangement), lorsqu’elle existait, étant davantage un supplément d’âme à l’image réalisée.
C’est pourtant dès cette époque que la photographie a été perçue par certains peintres (surtout ceux liés à l’Académisme) comme une concurrente potentielle.

Dans les travaux des « fictions colorées » de Pascal Kern, ce sont précisément ces indices (ou signes), qui sont prélevés, soupesés, interrogés et réintroduits dans le processus de création sous un double angle historique et esthétique, cherchant à dépasser les idées reçues, balayant les poncifs qui ont trop longtemps été à l’origine de l’écriture de l’histoire de l’art moderne et contemporain.
Dans cette photographie, par exemple, il semble évident, si l’on y prête attention que l’organisation spatiale frontale (sol/mur), que le choix des objets (bustes en plâtre poêle, clous), que le jeux chromatique (effet de sépia – rouille, poussière - et pigmentation colorée très vive des clous sortant du tiroir du poêle), que le redoublement de certains motifs (la vénus de Milo répétée à différentes échelles) sont autant de preuves de cette confrontation amusée entre un héritage convenu (codes, valeurs, modèles…) et une conception plus actuelle (photographie, installations…), toutes deux revenant en réalité à la même question, celle de la re-présentation ou de l’illusoire, soit entre autre, la définition d’une vanité.
Le choix des objets retenus souligne donc particulièrement ce processus réplique (moule / moulage), avec la dimension historique évidente que l’on vient de pointer.

On sait, par ailleurs, que ces modèles en plâtre, utilisés dans l’industrie des fonderies d’art depuis le 17e siècle (comme on peut encore à voir par exemple au musée du Paradis de Sommevoire) marquent bien, en creux, la référence au principe de en reproduction série, voire, si l’on veut bien creuser davantage cette question, l’idée de reproduction tout court, qui fonde en grande partie toute l’histoire de l’art et ce depuis l’antiquité (les statues hellénistiques que nous connaissons aujourd’hui seraient en grande partie des copies romaines…)
Enfin, et cela n’est peut-être pas sans rapport, l’invention de la photographie, qui elle aussi permet la reproduction d’images, coïncide avec l’apogée de cette industrie.
Pendant toutes ces années, j’ai souvent pensé à ce travail, en suivant régulièrement son évolution.
Les hasards de la vie auraient pu me faire croiser Pascal Kern en 1982 au salon de la Jeune Sculpture, où j’exposais moi-même en 1987, devant l’un de ses objets qui m’évoquait un bas relief de Louise Nevelson,… Pourtant, c’est en Haute-Marne, au printemps 2005, à l’ombre d’une glycine, chez Vincent Cordebard, que je l’ai rencontré pour la première et dernière fois.
C’est un autre hasard qui m’a poussé, toujours chez mon ami Vincent, il y a trois semaines, à soulever le couvercle d’une boite de papier photo où ce trouvait un petit livre étrangement intitulé « L’usine à Bastos » signé Pascal Kern.
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