Entre les signes (2 - L'aube du bain)

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2 - L'aube du bain (actualité du mythe)

« D'un côté il s'agit toujours par la scénographie et le traitement du jeu de réinventer à chaque fois le rapport acteur/public afin de sortir d'un confort amollissant pour la perception et redonner ainsi une acuité particulière au propos. D'un autre côté de rechercher cette sorte de polyphonie générale des langages chère à Artaud, recherche que nous poursuivons depuis notre création, basée sur le « bouleversement des sens... » déclaraient Michel Mathieu et Mamadi Kaba, les directeurs du Théâtre 2 l'Acte en 1968.

Entre les signes (2 - L'aube du bain)

Cette affiche signée Ronald Curchod et François Serveau fut réalisée à l'occasion de la la création du cycle de Médée par le Théâtre 2 l'Acte de 1995 à 1997 : "Rivage à l'abandon, Matériau Médée, Paysage avec Argonautes ", d’après les textes d'Heiner Müller qui sont des variations contemporaines sur des figures anciennes de la mythologie grecque, figures auxquelles Euripide avait consacré deux tragédies.

Le style de H.Muller est souven décrit comme tranchant, cherchant à provoquer l’explosion de l’image dans le souvenir et dans le texte. Le ton est tout à la fois tragique et comique, traitant des questions de la mort, de la trahison, de la violence ou du colonialisme.

« Mes textes sont écrits souvent de telle manière que chaque phrase, ou une phrase sur deux, ne montre que la partie émergée de l’iceberg, et ce qu’il y a en dessous ne regarde personne. » précisait d'ailleurs l'auteur.

 

Ronald Curchold - Compagnie Pupella-Nogues (1997)

Habituellement le travail de R.Curchold est plutôt pictural […] mais il arrive souvent que celui-ci combine dans ses affiches la photographie avec un travail du trait ou de la couleur.

Ici pourtant, seule la photographie de François Serveau a été utilisée pour le visuel de l’affiche.

Entre les signes (2 - L'aube du bain)

L’image présente un espace désaffecté, en ruine : les cloisons de brique on été abattues, des gravas jonchent le sol. Quelques éléments fragmentaires (carreaux, présentoir à papier ainsi qu’une baignoire indiquent qu’il s’agissait là d’une pièce d’eau. Ce serait l’image ordinaire d’une désolation si, une lumière dorée irradiant la baignoire, ne venait rompre avec cette impression.

François Serveau - Pelléas et Melisande de Maurice Maeterlinck par Jean-Christophe Saïs

François Serveau - Pelléas et Melisande de Maurice Maeterlinck par Jean-Christophe Saïs

Cette ambiance surnaturelle crée par l’intervention d'une lumière artificielle est un procédé souvent utilisé par ce photographe, autant d’ailleurs que par les éclairagistes au théâtre ou que par René Magritte dans certaines de ces peintures.

René Magritte - l'Empire des Lumières - 1954

René Magritte - l'Empire des Lumières - 1954

H.Müller avait donné des précisions en insistant sur la nécessité d’un naturalismede l’espace de mise en scène : « Rivage à l’abandon peut se jouer pendant que se déroule, par exemple, le programme d’un peepshow, Matériau-Médée au bord d’un lac près de Straussberg qui serait une piscine envasée de Beverly Hills ou une salle de bains d’une clinique psychiatrique. »

On pourrait donc considérer qu’il y a ici une sorte d’illustration au pied de la lettre des intentions de l’auteur.

Cependant, comme on vient de le souligner, le caractère naturaliste du cadre proposé est entamé par la présence irréelle de l’objet baignoire qui ici joue sans doute simultanément plusieurs fonctions.

Une baignoire c’est d’abord la forme d’un bateau – nom que l’on donnait d’ailleurs à certaines d’entre elles – Ce bateau imaginaire pourrait donc faire référence à l’Argos, navire des Argonautes, conduit par Jason et qui partit à la recherche de la Toison d’or. D’où sans doute, la lumière dorée.

Entre les signes (2 - L'aube du bain)

La baignoire c'est aussi, en creux, l’évocation de l’eau ici remplacée par un or liquide et immatériel (procédé de transmutation) ou encore par un corps. Peu de choses en effet, dans la forme, séparent une baignoire d’un sarcophage ou d'un cercueil.

J.Louis David – « La mort de Marat » (1793), Reims

J.Louis David – « La mort de Marat » (1793), Reims

On sait par ailleurs que la quête de Jason croisa la route de Médée, figure particulièrement sombre de la mythologie grecque.

Gustave Moreau. ''Jason et Médée'' (1865), Musée d’Orsay

Gustave Moreau. ''Jason et Médée'' (1865), Musée d’Orsay

Le récit de ce personnage est effet une succession de meurtres et de fuites à travers la Grèce.

Eugène Delacroix "Médée furieuse" (1862), Musée du Louvre

Eugène Delacroix "Médée furieuse" (1862), Musée du Louvre

L’ambiance chaotique du lieu évoquant d’un côté les idées théâtre de la distanciation de G.Brecht ou celui des décors plus bruts de T. Kantor doit aussi beaucoup à une esthétique contemporaine de l’installation, des performances de Fluxus, ou encore aux interventions 'in situ" de Gordon Matta Clark et l’investissement des friches industrielles tel qu'en réalise le photographe Georges Rousse
Joseph Beuys "Jason II" (1965)

Joseph Beuys "Jason II" (1965)

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