...comme un collier rompu

Publié le par ap

"Salammbô défit ses pendants d'oreilles, son collier, ses bracelets, sa longue simarre blanche ; elle dénoua le bandeau de ses cheveux, et pendant quelques minutes elle les secoua sur ses épaules, doucement, pour se rafraîchir en les éparpillant. La musique au-dehors continuait ; c'étaient trois notes, toujours les mêmes, précipitées, furieuses ; les cordes grinçaient, la flûte ronflait ; Taanach marquait la cadence en frappant dans ses mains ; Salammbô, avec un balancement de tout son corps, psalmodiait des prières, et ses vêtements, les uns après les autres, tombaient autour d'elle.


La lourde tapisserie trembla, et par-dessus la corde qui la supportait, la tête du python apparut. Il descendit lentement, comme une goutte d'eau qui coule le long d'un mur, rampa entre les étoffes épandues, puis, la queue collée contre le sol, il se leva tout droit ; et ses yeux, plus brillants que des escarboucles, se dardaient sur Salammbô.


L'horreur du froid ou une pudeur, peut-être, la fit d'abord hésiter. Mais elle se rappela les ordres de Schahabarim, elle s'avança ; le python se rabattit et lui posant sur la nuque le milieu de son corps, il laissait pendre sa tête et sa queue, comme un collier rompu dont les deux bouts traînent jusqu'à terre. Salammbô l'entoura autour de ses flancs, sous ses bras, entre ses genoux ; puis le prenant à la mâchoire, elle approcha cette petite gueule triangulaire jusqu'au bord de ses dents, et, en fermant à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons de la lune. La blanche lumière semblait l'envelopper d'un brouillard d'argent, la forme de ses pas humides brillait sur les dalles, des étoiles palpitaient dans la profondeur de l'eau ; il serrait contre elle ses noirs anneaux tigrés de plaques d'or. Salammbô haletait sous ce poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait mourir ; et du bout de sa queue il lui battait la cuisse tout doucement ; puis la musique se taisant, il retomba."

Gustave Flaubert , Salammbô, 1862



 m_putz_richard-salammbo_ph_gravure.jpg

  Michael Puzt-Richard (gravure d'après), Salammbô , vers 1912 ?

  


Voici que, au hasard d'une lecture , un passage ravive le souvenir d'une peinture. Des mots soudain font image ou plutôt, par des jeux d'associations étranges, font remonter les bribes d'une image longtemps regardée.

 

cartepostale


Une rapide recherche me fait donc croiser une gravure, puis une photographie en noir et blanc de la peinture reproduite sur une carte postale ("Paris Salon") où figure le dit détail : l'anneau sombre d'un serpent lové autour du genoux d'une femme.

Ainsi il ne s'agit ni de Lilith ni de Pandora mais de Salammbô. Par contre je n'ai trouvé que de maigres informations concernant Michael Puzt-Richard (1869-1940), l'auteur de la peinture ici reproduite, et  surtout  aucune localisation actuelle de cette version de Salammbô. Il se pourrait bien, tout simplement que ce soit celle-là même qui fut en partie recouverte par Max Ernst pour devenir Le jardin de la France  .

 

m_putz_richard_-cart_paris_salon.jpg 

 

 

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Publié dans peinture

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J
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Salammbô du grand Flaubert est une de mes lectures préférées, par l'histoire mais aussi par un style littéraire empreint de poésie, style qu'il n'apparait que rarement dans ses autres romans.<br /> <br /> <br /> Le tableau va bien avec l'image, même si l'on y voit plus de lubricité que Flaubert n'en a voulu.<br /> <br /> <br /> Cordialement, Jean-Claude<br />
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C
<br /> <br /> Belle trouvaille.<br /> <br /> <br /> Et merci pour ce texte encore jamais de mes yeux lu.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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