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C’est toujours drôle de constater à quel point une seule image peut, par associations d’idées, faire remonter les souvenirs les plus enfouis, les êtres ou les situations, les lumières et les gestes. Celle-ci, présentant des touristes devant les ruines d’un temple grec a fait revenir (en vrac) au moins trois moments de ma vie.
D’abord, cette silhouette penchée dans l’encadrement d’une fenêtre, parlant d’une voix douce, m’enseignant - tantôt appuyée sur le dossier d’un siège, tantôt regardant par dessus mon épaule - les rudiments de cette langue qui, bien qu’elle soit maternelle, ne m’était pas si facile à écrire et à parler. Il n’y avait pas que la voix qui me semblait douce, mais aussi les gestes appliqués de ses mains. Elle portait (je crois) un chignon et s’habillait de robes vives à fleurs. Je l’aimais beaucoup. Pourtant, je me rends compte que je l’avais oubliée, et ce, jusqu’à son nom. En fouillant dans ma boite d’images je retrouve – mais comment est-il possible que je sois toujours en possession de ce objet, après tant d’années ? – une carte postale datant de 1977, postée de Grèce.
L’image présente une vue en couleur de l’Erechthéion, sur l’Acropole d’Athènes. Au dos, une phrase écrite en oblique : « Je te souhaite de pouvoir venir un jour au pays où nos sommes, intellectuellement tous nés. Amical souvenir. J.F ». Le courrier m’est adressé à Toulon. J’ai 15 ans, j’en avais 12 quand je l’ai vue pour la première fois.
L’autre souvenir est plus récent. Il est venu tout de suite en regardant le temple grec. Je me trouve au Palatin, à Rome quelques jours avant le changement de siècle. Nous avons passé toute la matinée à déambuler dans les ruines, la pluie fine qui n’a pas cessé de tomber ne nous a pas découragés. Nous avons fini par accéder à la terrasse supérieure. Le vent s’est levé chassant les nuages. Il fait très froid, je remonte le col de ma veste. Je recharge le camescope. Quelques personnes se sont aventurées dans les thermes où jusqu’à présent nous étions seuls. J’enclenche la prise de vue en démarrant le plan sur un mur dont l’appareillage est constitué de briques. Je m’aperçois que la batterie clignote et que le temps restant de prise de vue est annoncé à 1 minute. Je pivote pour aller chercher les touristes qui, comme moi, errent entre ces murs dressés au milieu de nulle part. Une femme se penche et ramasse quelque chose qu’elle lance aussi tôt. Un homme filme lui aussi une enfilade de colonnes. Je me demande un instant si quelqu’un d’autre nous filme. Le champ de l’image se vide personne d’autre ne vient. Moins d’une dizaine de secondes s'affichent. Je décide de clore le plan quand j’entends, au-dessus de moi, le bruit d’un avion. Machinalement, je tourne l’objectif dans la direction du bruit en élargissant le champ. J’ai tout juste le temps de voir apparaître dans le viseur la découpe d’un chapiteau en amorce. La silhouette grise d’ un avion de ligne traverse de gauche à droite. Le voyant clignote sur un ciel vide avant de s'éteindre. Le l'écran du viseur bascule au noir.
Le troisième est encore lié aux cartes postales. En tirant la première sur Athènes, deux autres sont venues. J’aurais pu les replacer dans la boite, mais le hasard faisant parfois bien les choses, il m’est apparu sur le coup qu’il y avait un rapport. Ce sont deux envois de la même personne, un artiste rencontré à Marseille lors de l’installation de son travail en 1986. L’une est daté de décembre 87, l’autre de l’année suivante.
L’artiste en question était Jean Clareboudt. Nous nous étions croisé un an auparavant, à