Mon crâne et moi...

Publié le par ap

1

En recevant la tête de mort dans sa boîte en carton expédiée par la Poste, en Colissimo, j’aurais voulu mettre de la chair autour.  À celle fin de savoir à qui appartenait ce grimaçant sourire d’outre-tombe. Mais on ne retouche pas la mort sans modèle. Et puis le temps passe et l’on pense à autre chose.

On préfère ensuite en rire.

Précisément parce que le rire efface la grimace.

Il est toujours temps d’admettre que tout se réduit, finalement, à une grimace.

 

2

Je crus, sur le moment, à la farce macabre de quelque joyeux drille. J’ai des étudiants qui auraient été capables d’un coup semblable. Vérification faite, Oscar, le squelette du lycée, était au complet. Sa touchante nudité anatomique le mettait à l’abri de tout soupçon.

Il ne pouvait s’agir non plus de la tête de ma belle-mère : je ne suis pas marié !

Et puis les blagues sur les belles mères ont fait long feu.

 

3

Réfléchissant, plus tard, à tête reposée, à cette vérité qui, s’imposant à mon attention, limitait du même coup mes espoirs d’éternité, j’admis que ranger l’idée de mort dans cette boîte en os était, finalement, la meilleure façon de me réconcilier avec moi-même. Du même coup, je ne pouvais que me féliciter de l’attention délicate de mon généreux donateur.

Tout a une fin et moi-même !

Comment avais-je pu l’oublier ?

 

4

Cependant, il se pouvait aussi que cet envoi dissimulât quelque avertissement mystérieux. Etais-je menacé ? Par qui ? Avais-je un ennemi mortel ? En voulait-on à ma vie ? Quelle faute avais-je commise ?

Il était étrange, en tout cas, que l’image d’une mort qui ne pouvait être mienne convoquât ma propre culpabilité.

Après tout, je n’avais pas tué l’homme – ou la femme – à qui elle appartenait.

Certes !

Mais n’aurais-je pas, un jour ou l’autre, des comptes à rendre ? N’étais-je pas, mal gré que j’en eusse, le possesseur de cette boîte éternellement ricanante ?

 

5

J’eus, bien plus tard, l’idée de coincer mes quittances et autres factures entre les mandibules de ce curieux presse-papiers. D’ailleurs, la sagesse populaire – qui en vaut bien une autre ! – accole couramment aux factures le terme de « douloureuses ».

Jamais l’expression « courrier en souffrance » ne s’était, ainsi, autant vérifiée…


[Extraits du texte de Michel Lamart – « La confession de Yorik » - Sotie -]



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