de façades en coulisses (3)
(Piero della Francesca)
(3 – fantaisie de peintre)
Cette statuette dorée, représentant une figure masculine nue, tenant à la main droite une épée et dans la gauche un globe transparent, est en fait assez énigmatique. Souvent rapidement associée à la représentation d’une idole païenne, peu de commentateurs s’intéressent pourtant à ce qu’elle peut réellement figurer.
Dans les nombreuses représentations que j’ai pu consulter, relatives à ce thème de la Passion, la présence d’une figure au sommet de la colonne est très rare, et le plus souvent inexistante.
Dans une enluminure des riches heures du Duc de Berry, on trouve par exemple, nichée dans l’architecture, à l’aplomb du Christ flagellé, une représentation d’Eve enceinte. En ce qui concerne la représentation d’Eve, associée à la Flagellation, on sait qu’au 15e siècle, une interprétation liturgique de l’épisode des marchands du temple chassés par le Christ établissait volontiers le rapport avec Adam et Eve chassés de l’Eden ( que l’on nomme par ailleurs la Petite Passion), ce qui peut en partie expliquer la correspondance iconographique établie entre le moment ou Jésus, armé de cordelettes fustige les marchands et celui la punition qui lui est infligée par Pilate, à la demande du peuple.
De surcroit, cette association permettait aussi de réunir dans une même scène l’ancien et le nouveau testament. Pourtant, mise à part l’épée que brandit l’archange (le bras armé de Dieu) pour expulser le couple du Paradis, je ne pense pas qu’il y ait de relation directe avec le personnage armé juché sur la colonne de la flagellation chez Piero della Francesca.
Il existe bien aussi quelques représentations d’éphèbes ou d’athlètes, mais si la nudité ou la posture générale du corps se rapproche de la fameuse statue, aucune ne possède les attributs relevés plus haut. Enfin, en ce qui concerne les empereurs romains, nus ou revêtus partiellement d’une toge, portant soit un bâton de commandement soit un glaive aucun ne réunit suffisamment l’ensemble des conditions pour que l’on puisse pencher en ce sens.
En fait, cette statuette aux allures martiales et triomphales (Mars a bien une épée mais pas de globe), à la ligne souple, au léger déhanché rappelle plutôt l’élégance des bronzes de Donatello comme le David (qui lui aussi mania l’épée contre Goliath) ou encore la fameuse statue de Cellini représentant Persée, tenant à bout de bras la tête de Méduse (monstre dont le regard change les hommes en pierre… Rien de très concluant. De dépit, faut-il conclure à une nouvelle fantaisie de peintre?
Considérant l’aspect doré du bronze (donc lumineux), il est par contre possible d’établir un rapport avec la mythologie grecque, dont l’un des dieux de caractère solaire, Apollon, était aussi révéré par les romains. Comme le signale Bernard Sergent, spécialiste de mythologie comparée, dans Le livre des dieux. Celtes et Grecs, II (Payot, 2004), Apollon serait « une version divine du roi humain », par ailleurs Apollon est donc un être Lukê-genès, comme il est dit dans l'Iliade, c’est à dire « né de la lumière ». (son épithète Phœbus, la lumière)
Au Louvre est justement conservée une statue en bronze doré, d’époque gallo-romaine (IIe siècle), connue sous le nom d’Apollon de Lillebonne, découvert en 1823 en Normandie, et dont l’allure pourrait elle aussi vaguement évoquer celle de la sculpture figurée en haut de la colonne. Cependant, fausse joie, elle ne comporte pas d’avantage les deux attributs cités plus haut (épée et sphère).
Par contre, hasard troublant, elle est très proche par les traits du visage de la figure « angélique » vêtue d’une tunique rouge, qui se trouve au premier plan à droite de la Flagellation de Piero della Francesca.
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