Worosis Kiga (peinture d'ameublement)

Publié le par ap

« La peinture n’est que du cinéma, l’art n’étant que le résidu marchand d’un certain type de comportement vis-à-vis de la peinture » Gasiorowski, (cité par Eric Suchère ) A.W.K, Editions Maeght, 1994.


(Souvenirs de tournage – 04-1995)


Après plusieurs heures de tournage vidéo dans l’exposition du centre Georges Pompidou en compagnie de J-M Brisot, nous décidions de nous concentrer sur la série des amalgames. Où commencer ? Comment rendre compte du processus de ces peintures sur papier, sans tomber sur le principe du catalogue ? Nous voulions autant que possible éviter le commentaire en voix off, privilégiant le regard et l’association simple des images. Difficile ! En regardant l’ensemble il me vient l’idée de démarrer par un groupe de quatre images comportant, côte à côte, dans la partie basse deux reproductions identiques d’une œuvre de Picabia. Le sous titre de cette œuvre convenait assez bien me semblait-il au processus mis en place par Gasiorowski dans cette série : « prenez garde à la peinture ! » ; l’idée étant ensuite de ne filmer que des détails des peintures pour mettre en évidence les effets de recouvrements, les effacements…



J-M attira mon attention sur une autre reproduction que je n’avais pas encore remarquée. Il s’agissait visiblement d’une page publicitaire découpée dans une revue. L’image carrée, présentait un intérieur en noir et blanc assez design. Placée sur la partie supérieure de la frise des amalgames nous n’arrivions pas cependant à en lire le contenu précis du texte. J-M a suggéré d’utiliser le zoom de la caméra pour se rapprocher du document. Je me penchais sur le moniteur de contrôle tandis qu’il ajustait la mise au point ; il s’agissait d’un texte en allemand que J-M a brièvement traduit par « cette installation est un exemple du bon goût de la maison d'ameublement de WK » et alors qu’il parcourrait lentement l’image, mon sang n’a fait qu’un tour : là, suspendu derrière le canapé blanc, se trouvait l’une des peintures de Gasiorowski, « Dix secondes conscientes »*, peinture de la série l’Approche (1970) qui figurait justement dans l’exposition.



*(La peinture en question présente quatre personnages disposés devant et dedans des boites, chacun réalisant (ou mimant) un geste. L’enchaînement des trois premières figures de gauche produisant l’effet d’une décomposition d’un mouvement (une course et un saut ?) alors que la dernière, à droite, est dans une position plus hiératique. Le titre de la peinture est emprunté, me semble-t-il à une réplique d’un texte de Ionesco, Le roi se meurt : « Une heure bien remplie vaut mieux que des siècles de négligence […] Cinq minutes suffisent, dix secondes conscientes. »)


Je ne sais pas comment Gasiorowski avait eu connaissance de la présence de sa peinture utilisée ici comme élément de décoration pour un magasin d’ameublement ; la toile avait-elle été prêtée par sa galerie allemande, qui avait cru bon de l’informer en lui faisant parvenir la page de magazine?

D’autres que lui auraient sans doute été très flattés d’être ainsi associés à  un « exemple de bon goût » ou, plus prosaïquement, que l’une de leurs œuvres, ainsi présentée dans les pages glacées d’un magazine de mode, puissent assurer, si non une certaine reconnaissance, au moins un bon coup de publicité. Serait-ce aujourd’hui trahir la pensée de l’artiste que de prétendre que pour Gasiorowski, cette considération de la peinture dépassait son entendement, non que ce ne soit pas la fonction d’une image de décorer un intérieur, mais plutôt que l’utilisation d’une peinture pour vendre un canapé ou une étagère, relevait simplement de l’idée la plus vulgaire qui soit.

[…]

En découvrant par hasard au cours du tournage, cette image enfouie au sein de la série des Amalgames, j’ai réalisé, soudain, la profondeur de la blessure, ressentie par Gasiosrowski : car il s’agissait bien là d’un amalgame grotesque, d’un malentendu profond. « Non, la peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi. », avait déclaré Picasso*, en 1935, à  Christian Zervos.

* (On observera d’ailleurs que Picasso est cité (pastiché) aussi-bien dans les amalgames que dans les refusés de l’AWK, et qu’en 1974, avant d’entamer l’ensemble des grandes séries (la Guerre, L’Académie WK, les Fleurs et les Amalgames), c’est par une exposition intitulée les Faux Picasso que Gasiorowski annonçait sa disparition.)

Que le logo de ce magasin comporte les deux lettres (WK), qui deviendront celles des initiales de l’Académie, n’est sans doute pas non plus un hasard, d’autant que, présentes dans son propre patronyme, l’artiste ne pouvait manquer de faire le rapprochement. Le guerrier qui sommeillait en Gérard (Gerhard prénom masculin d'origine germanique formé d'après gari (lance) et hard (dur).) n’avait plus qu’à prendre les armes.

Cet argument de travail qui occupera l’artiste, six années durant, pourra paraitre dérisoire pour beaucoup, mais il convient à chacun de décider de ses colères et de mener ses combats.

 

C’est à partir de 1974 que prend fin, dans l’épuisement le plus total de la ligne, le travail des images en noir et blanc ; c’est à partir de cette date que la croûte, la couleur, les recouvrements viennent rythmer les travaux. Les ensembles de peintures et d’objets, réalisés à partir de cette date, atteindront des dimensions de présentations ou d’accrochage qu’il sera désormais difficile de suspendre derrière un canapé de salon, sauf à défaire le sens de l’objet : Le mur des cartons, l’Atelier de Taïra, la Ligne indéfinie, les Stances… et Fertilité en sont les formes exemplaires.

 

[…] 

 

Gérard Gasiorowski,
Exposition AWK, Galerie Maeght
du 19 mars au 10 mai 2009


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