Neuf au Pape

Publié le par ap

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En mars 2007, si j’en crois quelques bruits de couloirs, une affiche intriguait les usagers du métro parisien. Composée d’une unique typographie en bleu sur blanc, elle délivrait cette simple exclamation : N’ayez pas peur ! Une semaine plus tard la même formule refaisait surface sur une autre affiche avec, cette fois-ci, les légendes. Toujours en bleu ce texte soulignait la photographie du souverain pontif, Jean-paul II,tenant contre sa poitrine un enfant. Cette affiche annonçait un spectacle grand public présenté au palais des sports, réalisé par Robert Hossein et écrit par Alain Decaux.
Somme toute, l’effet d’accroche classique qu’avait produit la phrase seule retombait comme une meringue : les usagers rassurés d’avoir échappé au pire (quoique !) pouvaient à nouveau se concentrer sur leurs journaux préférés ou se plonger dans leurs mots croisés, les métro circulaient, le printemps réservait son lot de promesses… Le retour d’un pape star deux ans après sa mort ne tenait pas même pas du miracle.

 

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En septembre de cette même année, plusieurs observateurs attentifs notaient le retour du dit spectacle, avec cette fois-ci une affiche enfin digne de la superproduction. On trouvera sur le blog de la Boite à image le décryptage et l’inventaire des différentes trombines qui en composent le motif.
Cette affiche rouge, qui ne présente pas d’un intérêt graphique m’a par contre donnée envie de revisiter une galerie de quelques portraits peints par Francis Bacon, grand croqueur de papes.
 

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Pape II d’après Vélasquez – 1950

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Tête VI, 1949

Ces premières reprises de Vélasquez sont loin d’être sereines. Déchirés, hachés par les coups de brosse sombres ces portraits semblent pris dans la tourmente. Une douche noire obscurcit les visages. La bouche ouverte comme une fosse absorbe le regard. L’espace de la toile est un cri suspendu,

La tonalité sombre des études suivantes malmènent tout autant l’effigie papale. Les lignes, traçant les arrêtes d’une architecture ou marquant l’angulosité du siège, incarcèrent un corps décomposé. La figure y est spectrale.

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Pape I, 1951

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Pape II, 1951

Si la référence à Vélasquez est clairement indiquée par Francis Bacon, il n’en demeure pas moins que ses Papes s’inspirent tout autant de Titien que de Raphaël, tout au moins pour ce pour ce qui est du sujet.

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Innocent X, 1953


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Portrait II, 1953

Dans le portrait du Pape encadré par deux quartiers de viande, motif  qui reprend un élément de la composition d’une autre peinture de 1950, le visage est littéralement décomposé. La couleur verdâtre de la chair est sans équivoque.
Dans une autre série, datant de 1961, c’est la forme et la facture du vêtement qui évoque cette même viande.

 

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Portrait avec viande, 1954

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Pape VI, 1961

A la question de David Sylvester : « Pourquoi avoir choisi de représenter le Pape ? », Francis Bacon répondait : « Parce que je pense que c’était les plus grands portraits qui n’avaient jamais été faits, et aussi parce que cela m’obsédait. J’ai acheté tous les livres contenant la reproduction du Pape peint par Vélasquez, juste parce que cela me hantait et puis cela réveillait toutes sortes de sensations et m’ouvrait les portes de tout un imaginaire... »

 
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Pape rouge assis dans un intérieur, 1975

A cette même question que j’avais posé à Francis Bacon en 1986, lors d’une rencontre insolite au bar des « Deux magots », à Aix en Provence, celui-ci, avait sourit avant de me répondre : «... Quelque chose d’incontournable auquel je voulais me mesurer… un archétype  […] J’ai fait plusieurs peintures sur cette question […] c’était comme un fantôme qui revenait sans cesse, alors je me battais contre lui… A la fin c’est devenu comme un reflet dans un miroir. »

Publié dans Réplique(s)

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