Peter Blake (que j’ai récemment évoqué ici) a illustré, lui aussi, l’univers de Lewis Carroll en 1970. C’est au second volume des aventures d’Alice, De l’autre côté du miroir… (publié en 1871 et illustré dans sa version originale par John Tenniel.), qu’il s’est intéressé.
Le parti pris graphique qu’il a choisi pour rendre compte de l’univers Carrollien y est assez différent du style de collage Pop qu’il pratiquait alors. Le procédé de l’aquarelle y est à la fois classique et somptueux. Peter Blake utilise un traitement réaliste par les lumières pour le personnage d’Alice et certains éléments du décor. Seuls les autres personnages sont traités dans un style plus caricatural, rappelant d’ailleurs les dessins de Tenniel.
Peter Blake “Through the Looking-Glass ...”, 1970
Dans un sens, et pour le dire vite, cette association est une façon assez subtile de jouer sur l’ambiguïté spatiale et temporelle du du monde merveilleux que traverse Alice, procédé qu’il emprunte au cinéma et sans doute plus particulièrement peut-être au premier long métrage du genre, réalisé par W.W.Young, qui date de 1915.
W.W. Young, Alice in Wonderland, 1915
Jouant sur la métaphore du passage entre réalité et fiction, on peut aussi évoquer les photographies de Abelardo Morell qui, reprenant les illustrations de Tenniel, les en scène à la façon d’un petit théâtre de papier.
Un autre photographe, Duane-Michals, a lui aussi abordé la question en centrant sa réflexion sur la fonction du miroir, interface ou lieu de passage d’un monde à un autre. Il s’agit de sept clichés qui composent une suite narrative. Le jeu échelles, des faux semblants, des reflets mis en abîme et du retour brutal au réel (le miroir brisé) sont autant d’équivalence au principe de déboîtement du récit de Carroll.
Duane-Michals « Alice’s mirror », 1978
Ainsi, comme on a l’habitude de l’entendre dire, "les miroirs mentent", ne serait-ce que parce qu’ils ne nous renvoient du réel qu’une réalité inversée.
Ambigramme « Love/ Hate »
Réclame pour le chocolat Menier et J.Tenniel, 1871 / Réclame pour une marque de mode (« comment vit on de l’autre côté »)
Objet du retournement, il devient pour Alice - ou pour le poète dans « Le sang d’un poète », chez Jean Cocteau - l’espace du franchissement, pour un voyage dans l’envers rêvé du décor.
J. Cocteau « Le sang d’un poète », 1930 / Ryszard Horowitz « Magic rabbit », 1980