Dans un article précédent, concernant l’étrangeté de la lumière, j’avais avancé que le vrai centre du tableau pourrait être le peintre lui même puisque tous les éclairages convergeaient vers lui. Mais maintenant j’hésite car il semble bien qu’il y ait un second personnage précisément que j’ai un peu négligé jusqu’ici : il s’agit du divan rose.
Ce cadrage fait apparaître que Bazille et Maître sont disposés dos à dos de part et d’autre du divan, séparés ou réunis (c’est selon comme on veut comprendre la fonction), chacun étant attaché (relié) à l’accessoire (chevalet ou piano) qui définie sa qualité. Une sorte de duo pour dire les choses autrement.
S'il existe de nombreux portraits d'Edmond Maître, j’ai plus de mal à trouver des informations sur sa biographie et son oeuvre. J'apprends tout juste qu’il fut fonctionnaire de l‘Hôtel de Ville et surtout considéré comme musicien et très érudit.
Ed. Maître peint par Bazille (1869), peint par Fantin-Latour (en compagnie de Bazille, 1870), par Renoir (1866) et encore Fantin-Latour (1885)
Certaines mauvaises langues disaient aussi de Edmond Maître qu’il était le factotum de Bazille, mais nous savons surtout que la relation d’amitié entre les deux hommes fut assez étroite pour que ce soit à lui que les parents du peintre demandent, après la mort de leur fils, de se charger de la liquidation de l’atelier et du renvoi des toiles et dessins restés à Paris.
Une autre idée hier au soir m’est venue en regardant encore l’ébauche de « la toilette » accrochée au-dessus du divan. Je ne sais pas pour quelle raison soudaine (sans doute par la présence de la couleur qui relie le nu au sofa ?) le corps abandonné de la femme à la toilette m’a semblé glisser sur le drap rose.
Du corps soutenu au drap, il me revient à présent à l’esprit les nombreuses représentations des dépositions du Christ.
(en haut, à gauche détail de la "descente de croix" de Le Brun, en bas à gauche, celle de P. Van Mol)
Quelle raison aurait eu Bazille d’aller chercher du côté de la peinture religieuse le motif de ce corps ?
En quoi la mort du Christ (même dissimulée par la transposition orientaliste) a-t-elle un quelconque rapport avec le tableau de Bazille, ici dans cet atelier ? Et surtout pourquoi un corps masculin sans vie (abandonné) aurait-il pu ainsi devenir celui de cette femme se faisant habiller après sa toilette ?
Le Christ au lièvre - Peintre inconnu
Ne suis-je pas tout simplement en train de glisser vers une interprétation farfelue et grotesque. Possible. Mais, cette idée faisant son chemin, je suis du coup attentif à un autre détail : la verrière.
Peinte en conte jour, en partie voilée sur la gauche par un rideau sombre, soulignée sur la droite par la verticale de l’autre rideau tiré, la structure de la baie vitrée dessine une croix dont la partie basse est masquée par le tableau disposé sur le chevalet.
Y voir un peintre tenant une palette au pied de la croix va donc sembler (je le pressens déjà) audacieux, voire abusif, surtout si j’ajoute que la canne de Manet m’évoque irrésistiblement la lance de Longinus.
P. Rubens - Le coup de lance
J’entends d’ici les commentaires offusqués - mais je l’ai bien cherché ! -,Aussi, avant que de prêter à mon tour le flanc aux railleries des lecteurs, comme Renoir lançant à Sisley (qui se tient prudemment à l’écart) un regard entendu, je songe d'ors et déjà à prendre la tangente en grimpant à l’échelle.