L’insouciance (fragment 3)

Publié le par ap

Ca commence dans le noir, le froid, la boue, le cliquetis des armes, l’odeur âcre de la poudre, sous terre, faiblement éclairé par l’ampoule d’une dynamo, …et puis ça continue, dehors, de nuit, dans l’ornière des chemins, dans la boue qui colle aux chaussures, dans le vent glacial qui s’immisce sous la capote, les doigts qui s’engourdissent, la marche ralentie, les taches pâles de la lune sur les flaques d’eau, la peur au ventre, ça continue encore, la terre dans la bouche, le ciel bas, un monde délavé, le sol qui tremble, un relief lunaire où se couchent les ombres, ça reprend à l’aube, le jour d’avant ou hier, car rien n’est plus  très sur…

Une lampe qui tangue au-dessus de la table, les murs qui avancent et qui reculent dans l’obscurité, le tremblement incessant du sol, des bruits assourdissants, fracas d’un marteau battant l’enclume... Des hommes prostrés au quatre coins de la pièce, le regard levé vers le plafond, écoutant craquer la terre.


Des nuées de mouches agglutinées au coin des lèvres et sur les yeux, le bourbier, l’ocre gris de la terre qui coule le long des remblais comme des rivières de sang. Un ciel jaune parcouru d’éclairs, des geysers de glaise se mêlant à la pluie. La peur bleue, les mains qui tremblent à chaque nouvelle secousse, les doigts qui se crispent, et se tordent… Rien, il n’y a plus rien que l’horizon barré de fer, enroulé de fils, tressé de corps, rien que des trous comme savent en faire les taupes. Plus rien que l'émanation de la chair putride, de la cendre, de la glèbe. Plus rien que la couleur délavée des uniformes maculés, noyés dans lit des fossés et le brun  noirci des plaies béantes.

« Margueritte, j’ai bien reçu ta lettre et ton colis. Merci pour le tabac et pour le savon. Ici la pluie ne cesse pas. Je pense à ton sourire depuis notre départ vers le front. Je pense aux douces soirées d’été et à la lumière filtrant entre les feuilles de l’acacia, dans la cour de la ferme. Embrasse Mado et les enfants pour moi. René, qui pense à toi »

 

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