L’insouciance (fragment 23)

Publié le par ap

- "¿cuánto cuesta… esto?"

Le garçon désignait au vendeur, par dessous le comptoir, une petite boite d’allumettes sur laquelle était figurée une scène de corrida. Le vendeur l'interroga du regard en levant le menton indiquant qu'il ne comprenait pas de quoi il s'agissait ...

- " Hé! on dit comment pour allumettes en espagnol ?" demandat-il à l’un de ses camarades tandis que le vendeur amusé le regardait faire rouler dans sa main ses dernières pièces de monnaie.

- "Cerilias, … je crois!", lâcha celui-ci, avant d’ajouter

- T’as pris des cigarettes au moins?

 

Sur le trottoir ils avaient retrouvé le reste du groupe, garçons et filles qui tous se montraient les petits souvenirs achetés dans les boutiques qui bordaient le marché aux fleurs. Une lumière froide baignait les hautes façades en cette fin de matinée de Janvier. Il ne devait rien oublier des bruits et des odeurs ni de l’éclat des pavés cabossés, ni des grandes palmes qui allaient à la rencontre des arcs ghotiques. Depuis tout à l'heure, il ne voyait plus le monde qui l'entourait du même œil.

 

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Son reflet sur la vitrine, lui presque couché dessus à regarder ce dessin d’un corps décharné, tracé à l’encre sur deux morceaux de papiers collés. Un homme maigre, dont le mouvement des mains ouvertes indiquait un certain désordre. Un visage hirsute, des loques en guise de vêtement. Trois fois rien en fait, quand aujourd’hui il croise cette image par hasard.

 

Et ses camarades de plaisanter de le voir ainsi absorbé par le contenu de cette vitrine de musée. Lui, sur et dans l’image, immergé, soudain débordé, le regard naissant à la peinture.
Jamais la peinture n’avait été un objet d’étonnement ou de fascination. D’ailleurs pour tout dire, il en ignorait jusqu'à l’existence. Et le voilà qui basculait dans la vitrine, se noyait dans les coups de plumes et les rehauts des bleus.

Plus loin, dans les couloirs du musée, il avait perdu de vue la troupe des visiteurs, en s’attardant sur une série de peintures dont ses camarades s’étaient copieusement moqués. Pour la première fois pourtant, il éprouvait une émotion intense et indicible. Ces lignes cassées, ces aplats de couleur, ces touches franches et directes le traversaient littéralement comme s’il était lui-même l’image de ces corps, ou plutôt le corps de ces images. Sa nuque était parcourue de frissons, il sentait ses doigts pousser, ses yeux s’ouvrir.

La visite était finie depuis longtemps quand on le retrouva enfin, assis dans l’une des salles du musée, au pied d’un portrait de petite fille vêtue d’une robe blanche, dont le visage asymétrique le dévisageait.
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