Annotations en marge #1(sur Max Ernst)

Publié le par ap

"Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous. "

Paul Eluard.

[Ces annotations prises en marge de l'étude sur "Les hommes n'en sauront rien" n'auraient pas dû être publiées ici. Elles sont assez décousues et relèvent plus de l'intuition ou de la rencontre fortuite d'images que de l'analyse. Ce sont des bribes et il convient de les considérer plutôt comme des pistes de travail : des rendez-vous.]


(note 1 - du plomb dans l'aile)

Max Ernst, Aquis submersus, 1919


Une piscine, ou plutôt un grand bassin occupe l’espace central d’une place. De part et d’autre, bordant la perspective de ce rectangle, des bâtiments bas et allongés (peut-être des vestiaires), ou alors des sortes de boites (si ce n’était pas un anachronisme on pourrait parler de containers ou de préfabriqués!). Au fond, dans l’axe du bassin, un cube posé à cheval entre le bord et l’eau. Derrière, sur la droite, une maison à un étage dont les portes et les fenêtres semblent murées. Au ciel, une horloge1 qui pourrait passer pour un astre. Deux figures se tiennent dans l’espace : l’une au tout premier plan, sorte de moulage en plomb, vague statue unijambiste et sans bras, et dans l’eau du bassin, tête la première, un plongeur en maillot, à moitié immergé.

Rien ici n’a vraiment de consistance : ni le ciel qui parait être tendu comme un rideau vaguement badigeonné, ni les bâtiments qui semblent appartenir eux aussi à un décor théâtral ou à des jouets, ni les figures, malgré les ombres projetées.

Ce tableau, dont le titre Aquis submersus est emprunté à une nouvelle de Theodor Storm datant de 1877, fait d’ailleurs référence à un passage du récit dont les deux personnages principaux (Katharina, jeune aristocrate, et Johannes, artiste peintre) qui s’aiment, seront cependant séparés par des préjugés de classe. La jeune femme enceinte se voit ainsi contrainte d’épouser un pasteur. Quelques années plus tard, les deux amants s’étant momentanément retrouvés, cèdent à leur ancienne passion, laissant leur enfant  sans surveillance, au bord d’un plan d’eau : celui-ci se noie… C’est donc, entre autres, les questions du temps qui passe (l’horloge réfléchie dans le bassin) de l’amour impossible (figurine de plomb) et de la culpabilité (noyade) que transpose ici Max Ernst.


[...]
En fait, on est assez proche, tant par le dispositif scénique que par les lumières, des espaces peints par Giorgio di Chirico dans les années 1905-1918, oeuvres que Ernst découvre précisément en 1919, à Munich, dans la revue Valori plastici : « j’avais là l’impression de reconnaître quelque chose qui m’était depuis toujours familier, comme quand un phénomène de déjà-vu nous révèle tout un domaine de notre propre monde onirique, que l’on se refusait, grâce à une sorte de censure, à voir ou à comprendre »2.

Il y a cependant ici quelque chose de plus sommaire (dans la façon de peindre), de moins tragique (malgré le sujet) que chez Chirico[...] voire de plus sarcastique?. Comme par exemple la figure du noyé, qui semble littéralement plantée dans l’eau, et qui me fait penser à ce détail du tableau de Bruegel, La chute d’Icare, où, du fils de Dédale on ne trouvera représenté que les jambes lors de son plongeon dans les flots. Y aurait-il un rapport?

 


[...]

__

1 - En 1934 le thème de l’horloge, de l’eau et de la femme (tic-tac érotique) resurgira dans une série de collages réalisés pour une illustration " L'eau n°3, Une semaine de bonté "

2 – Propos de Max Ernst « notes pour une biographie » Cités par Werner Spies « les collages, inventaire et contradictions », P 49, Ed Gallimard, 1984

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