l'angora de Bob (complément 4)

Publié le par ap

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Détour

Une chose cependant, notée dans l’article de Dendiner semble intéressante : on apprend que, lors de la dite exposition de 1955, à New York, une autre une œuvre de Hunt, « The Awakening Conscience (l’éveil de la conscience) » était présentée au public.

undefinedWilliam Holman Hunt "The Awakening Conscience",1853

J’ignorais pour ma part, jusqu’à ces derniers jours l’existence de cette peinture. La scène présente un couple dans un intérieur bourgeois. La fenêtre grande ouverte de la pièce, réfléchie dans le miroir, est totalement occupée par le treillis lumineux d’un feuillage. L’homme assis devant un  piano s’apprête à accueillir sur ses genoux (à moins qu’il ne s’agisse du mouvement inverse, auquel cas celle-ci se lèverait) la jeune femme.

Celle-ci est vêtue de blanc, un châle rouge et jaune ceint sa taille. Ses mains, ramenées sur le haut des cuisses sont serrées comme si la jeune femme cherchait à contenir une émotion très forte. Son regard, dirigé vers l’extérieur du tableau (vraisemblablement vers la lumière du feuillage) semble comme frappée par une apparition. L’homme assis, une main sur le clavier, l’autre bras passé devant elle, semble l’interpeller sans comprendre ce qui se passe.

La lumière inondant la fenêtre, les notes de musique, lui ont fait lâcher l’ouvrage de broderie qu’elle était en train de faire. A ses pieds des brins de laine ou de coton, bleus et jaunes, sont éparpillés. On repère aussi, au premier plan, négligemment posés sur le tapis rouge à motifs de losanges, une partition enroulée dans un papier bleu, à moitié déballée, ainsi qu’un gant ; un seul. A gauche sur le plateau du guéridon (dont la tranche, brutalement éclairée par un rayon de lumière, révèle un motif à crans) se trouvent des livres et un chapeau haut forme en satin gris signalant ainsi que l’homme est en visite. Sous le guéridon, un chat, apparemment étonné par le brusque mouvement de la jeune femme en oublie sa proie : un oiseau aux ailes déployées.

Qu’a-t-elle soudainement vu, entendu ou compris qui produise cette réaction et ce regard inspiré ? Quelle illumination est à l’origine de son geste qui retient l’attention de l’homme et celle du chat ? On observe qu’un même mouvement réunit d’ailleurs le bras et la patte. L’analogie tiendrait-elle pour l’oiseau ? La femme serait elle aussi une proie qui vient d’échapper au pire?

« Hunt traita le sujet de la femme entretenue avec L'Éveil de la conscience, dont le décor est une pièce d'une maison de convenance de St John's Wood. » indique l’auteur d’un article sur la peinture préraphaélistes. Ainsi, la jeune femme (installée par l’homme dans ce meublé cossu, cette cage dorée, pour assouvir ses seuls besoins charnels,) prend–t-elle soudain conscience de son erreur à vivre ainsi dans le péché.

Qu’il s’agisse de « The scapegoat » ou de ce tableau, le propos de Hunt apparaît donc comme très moralisateur. Cette scène de genre, dont l’allusion triviale se trouve figurée, entre autres, par le gant négligemment abandonné et retourné sur le tapis, cherche en effet à dénoncer, par le biais du thème de la femme déchue, certaines dérives de société bourgeoise de la l’époque Victorienne.

Bon, c’est entendu, mais pourquoi insister ici sur cette peinture de W.Hunt peut-on se demander. En fait, de façon un peu inattendue et, à mon sens, davantage encore que dans la peinture de Hunt représentant la chèvre sacrificielle, « L'Éveil de la conscience » contient plusieurs détails qui en évoquent singulièrement d’autres, justement présents dans Monogram de Rauschenberg.


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Par ailleurs, considérant la manche de la veste noire de l’homme passée autour de la taille de la jeune femme, je ne peux m’empêcher d’y associer l’image du pneu ceinturant la chèvre. De même, un autre détail frappant est l’analogie entre le jupon de la femme et la reproduction qui se trouve à l’arrière de la chèvre dans Monogram.

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Enfin, mais ce dernier point est totalement subjectif, le regard de la jeune femme qui se détache sur le fond de tapisserie sombre m’évoque ce portrait de Cy Twombly réalisé par Rauschenberg en 1953.

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Résumons : la teneur du message de L’éveil à la conscience de cette femme déchue se fait par la conjonction de deux phénomènes : la lumière tombant par la fenêtre ouverte et la chanson que le couple vient d’interpréter.

On peut assimiler ce rôle de la lumière à une transposition du rayon divin, tel celui qui, dans certaines annonciations, vient frapper la vierge Marie, matérialisant l’émanation divine de l’Esprit saint. En ce sens, le tableau de W. Hunt peut-être lu comme une annonciation profane.

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Parmi les premiers travaux photographiques de Rauschenberg, une image datant de 1949, prise à Black Mountain Collège, montre une un rayon oblique qui vient éclairer (révéler), dans un « Intérieur tranquille », le dossier d’une des deux chaises, alignées le long d’un mur.

 

La lumière révélant des corps fut aussi l’un des procédés utilisés par Rauschenberg pour  la série Blueprint, dans les années 1950. Ces tirages contacts, rappelant les photogrammes de Man Ray, réalisés sur papier photosensible exposés à la lumière, font apparaître l’une des préoccupations plastiques que l’artiste développera dès les années 60, à savoir la transparence.

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R. Rauschenberg et Susan Weil, Blueprint for mural décoration (Female Figure), 195O-51

 

Regardant la silhouette de cette femme, torse nu, bras projetés vers l’avant, faussement appuyée sur une canne, jupe gonflée - dont l’un des plis de sa jupe dessine la forme d’une aile -, on pourrait penser à l’image d’une somnambule : figure fantomatique (ou angélique) flottant dans un bleu nocturne et irréel.

Le thème à la fois onirique et spectral de ce Blueprint rejoint étrangement le second phénomène qui semble être à l’origine de la prise de conscience de la jeune femme, dans le tableau de Hunt. Il s’agit  de la chanson de Thomas Moore intitulée « Oft in the Stilly Night », dont la partition se trouve sur le piano. Celle-ci, empreinte d’une profonde nostalgie évoque les joies et les espoirs de l’enfance évanouis avec le temps.

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Ce détour par cette œuvre de Hunt - dont je finis presque par croire qu’il n’est peut-être pas qu’un simple concours de circonstance - éclaire au moins l’hypothèse selon laquelle, les éléments choisis et associés par Rauschenberg dans ses combines, sont bel et bien articulés en vue d'un sens et non d’un simple jeu formel. Le sujet de l'éveil de la conscience pouvant correspondre, chez celui-ci, autant à l'éveil d'une sexualité qu'à celui de son travail artistique.


Dans une série d’images datées de 1999, intitulée « Ruminations », Rauschenberg revient, entre autres choses, sur la période 1950 -1959, livrant une partie de son histoire.

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R. Rauschenberg 'Topher (son and ex-wife ) from Ruminations, 1999

 

Cette planche, plus particulièrement retient l’attention. La vignette du bas qui fait partie d’une série de photographies prises par l’artiste à Central Park en 1950, montre Susan Weil adossée à un arbre. Sur les autres clichés pris le même jour, on peut deviner qu’elle est enceinte.

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La vignette en haut à droite est un portrait de l’artiste : une macule blanche masque en partie le visage d’un enfant qu’il tient visiblement dans les bras. La dernière à gauche, pourrait être, par déduction, Christopher, le fils de Rauschenberg. Cette dernière image, comme souvent d’ailleurs dans la production de l’artiste, a déjà été utilisée en 1959 dans Canyon.

 

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R. Rauschenberg Canyon, 1959

 

La série des Ruminations montre, à plus de 40 ans de distance, à quel point la teneur des Combines véhicule bien plus que des jeux de citations ou de références à l'histoire de l'art, mais aussi, sans doute, beaucoup de l'histoire personnelle (intime) de l'artiste. Il faudrait donc prendre le temps de revisiter précisément chacune des compositions de cette époque pour en prendre la pleine mesure...

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M
<br /> super cette article<br /> bonne continuation et<br /> a bientot<br /> <br /> <br />
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