Quoi que Friant dise...

Publié le par ap



"C’est un canal ordinaire, comme il y en a tant, bordé ça et là par de grands arbres dont les racines fouillent les berges et les crèvent parfois. C’est un chemin liquide qui sort de la petite ville pour aller dans la campagne, sous des nuages blancs, et finit par se perdre dans le ciel sans drame ni grand éclat. ", peut-on lire, dès la première page de ce petit livre intitulé, « Au revoir Monsieur Friant* » de Philippe Claudel, dont j’avoue que, jusqu’à hier au soir je n’avais jamais croisé l’écriture.

Ce texte court pourrait à première vue n’être qu’une évocations de souvenirs d’enfance ou d’adolescence du narrateur. Les figures d’une grand-mère, d’un père disparu, d’une mère attentive et discrète y sont convoqués, le tout ponctué d’amourettes enfantines ou  d’un amour platonique déçu… Mais la particularité ici réside dans la façon dont ces différentes bribes qui constituent le parcours d’un homme ordinaire – quoique bon écrivain – est tissé autour, ou à partir, de l’œuvre d’un peintre.

P.Claudel prend en effet comme prétexte (mais ce mot est faible – argument ?-) une série de peintures de Emile Friant (1863-1932) - peintre naturaliste d’origine lorraine, dont la plus-part des oeuvres se trouvent au Musée des Beaux-arts de Nancy - non pour illustrer son propos, mais bien d’avantage comme appui et espace de résonance, miroir et sédiments en image d’une autre histoire, d'une autre mémoire (celle des sujets de ces peintures ) qui, par bien des points, se confond avec la sienne.

Pour ma part, n’ayant jamais vraiment été sensible à la peinture de Friant (pas friand du tout, pour être totalement honnête), je redoutais d’avoir à passer une partie de la soirée dans le vernis sec et le poli cireux du souvenir que j’avais gardé de ces peintures. Mauvais préjugé et bonne pioche : la lecture de ce texte ciselé et subtil, même si il ne m’a pas fait changer d’avis sur ces peintures, a le grand mérite de leur redonner le souffle qui à mon avis leur manque ainsi qu’une chair et une profondeur.

*comme un clin d’œil à peine dissimulé à un tableau de Gustave Courbet.

( Aux Editions Nicolas Chaudun)


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