Raffut

Publié le par ap

Depuis que les canards, les mouettes, les corbeaux et tutti-plumi atterrissent à l'aéroport, le trafic aérien humain s'en trouve fortement perturbé. On ne gère pas deux cents oiseaux qui se posent en vol désordonné, sans parler des retardataires, comme un Boeing qui arrive tout d'une pièce. Sauf incident.

En ce moment même, deux vols de canards sont en attente et tournoient à 500 pieds au-dessus de Villeneuve-Saint-Georges. Pourvu qu'un imbécile ne leur tire par-dessus à la descente. La municipalité aurait encore le Conseil supérieur du volatilisme sur le dos. Certains habitants, excédés, dénoncent les fientes qui s'accumulent sur les toits. C'est l'autre différence avec les avions. Les avions sont équipés de toilettes pour le vol. Les canards, non. Pareil pour la radio. Les canards font des signes avec leurs ailes, que les contrôleurs aériens doivent décrypter à la jumelle. Dire que l'on n’a jamais frôlé la catastrophe serait mentir.

Un jour, un vol de mouettes décida d'atterrir sans prévenir sur la piste principale. Un Airbus A-340 allait prendre son envol. Il freina brusquement et rompit ses trains en bout de pistes. On releva trois morts parmi les passagers. Le gouvernement présenta cependant des excuses officielles aux mouettes. Il fallait éviter à tout prix l'incident diplomatique.

C'est bien beau que les oiseaux nous laissent utiliser encore en partie l'aéroport. Les sangliers et les chevreuils se sont montrés beaucoup plus coriaces, sans parler des lapins, des hérissons, des chats, des chiens. Il a fallu se rendre à l'évidence : trains et voitures ne circuleraient plus. L'industrie du bicycle connaît une phase de croissance comme on n'en a plus vue depuis l'affaire Internet. Et cette fois, ce n'est pas près de s'arrêter.

Pour les aéroports, on a trouvé un arrangement, vu qu'il y a quand même plus de monde en-dessous qu'au-dessus et que mêmes les oiseaux se posent, parfois. Les poissons se sont montrés également conciliants. Sur les rivières, les péniches ne sont qu'un souvenir. Mais, en mer, un trafic limité est autorisé. Comme on a cessé toute pêche et que l'on n'a plus besoin des tankers pour transporter le pétrole que ne brûlent plus les voitures, cela ne sert pas à grand chose.

A Roissy comme ailleurs, il a fallu apprendre à faire avec. Des salons de repos business class attendent les migrateurs à leur arrivée, avec boisson, graines et des carrés d'herbe moelleux pour dormir, des perchoirs où se reposer les ailes. Les enfants, ceux des humains, le nez sur les verrières, regardent s'envoler et atterrir : ceux -les oiseaux- qui semblent décoller d'un bond ; ceux qui courent sur quelques dizaines de centimètres avant de déployer leurs ailes; ceux qui arrivent pattes en avant ; ceux qui, immanquablement, se reçoivent de guingois, sur le ventre ; ceux qui se laissent perdre en altitude en ronds concentriques. Il y en a de toutes les couleurs, comme pour les compagnies aériennes. Et le raffut n'est pas moindre que celui des moteurs. ça piaille toutes les langues. Trilles et roucoulements toutes la sainte journée. J'en deviens dingue. Les pires, ce sont les cygnes. Heureusement, ils sont peu nombreux dans les parages, faute de plan d'eau adapté. Des hérons égarés se retrouvent parfois là, fort dépourvus sur le tarmac en dur, ne sachant comment replier leur patte sans se casser le bec. On a tout de même aménagé des petits bassins. ça plaît bien aux canards.

Le trafic volatile a surtout lieu de jour. Les hommes voyagent désormais la nuit. C'était ça ou rien. On a pris ça.

[...]


[Fabien Marechal - extrait de "Les oiseaux"]

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