Visite aux demoiselles (2)
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Lorsque l’on s’intéresse à la genèse des Demoiselles d’Avignon, il est nécessaire de revenir aux croquis, dessins et autres travaux réalisés entre 1905 et 1907. La première reproduction in extenso de ces différents travaux, réalisée par le musée Picasso en 1988, dans le catalogue de l’exposition, rend évident la lente construction de l’espace et du sujet du tableau. Comme dans tout carnet, on n’y voit les hésitations, les recherches ponctuelles de tel ou tel détail, les recherches périphériques…
En feuilletant ces jours-ci ce catalogue, deux choses ont retenu mon attention. La première c’est que, finalement, par rapport à la quantité des études, l’organisation spatiale du tableau, à quelques détails près (le nombre de figures par exemple, ou les postures), est assez vite en place, pourtant Picasso continue à multiplier les croquis de composition jusqu’en juin 1906.
Carnets, Hiver 2005 – mai 2007
A moins, bien sûr, que cette figure ne soit elle aussi inscrite dans un jeu implicite de référérences.
Dans une aquarelle de 1907 la symétrie du corps sera cependant tronquée par la présence d’une courbe, tandis que dans le tableau c'est un morceau d’étoffe blanche vient retailler le corps.
La pose de cette femme, jambes écartées – la pose s’adressant au départ aux deux hommes qui disparaîtront plus tard de la composition – se veut évidemment obscène. Autant les autres personnages féminins pourraient laisser penser qu’il s’agit là d’un groupe de nus à la toilette, autant le geste de celle-ci ne laisse aucun doute sur la nature du lieu qui est, comme l’ont souligné les différents commentateurs, un bordel. Etrangement l’aspect obscène, pourtant cherché par Picasso tout au long des phases d’étude, disparaît dans la peinture finale. Privé des deux protagonistes masculins la peinture s’est vidé de son côté anecdotique sans pour autant perdre de sa virulence.
Le second point qui a retenu mon attention se trouve dans un cahier de mai-juin 1907. Y figurent plusieurs dessins à l’encre, dont le trait haché ne semble pas appartenir à celui de Picasso, d’habitude si incisif. En regardant l’attaque et les reprises de la plume je comprends. Ce sont des dessins faits avec la main gauche.
Quel intérêt pouvait bien avoir l’artiste à changer de main si ce n’est, peut-être pour bousculer sa ligne, donner un coup de fouet à la représentation trop bien maîtrisée. Pour trouver l’équivalent d’un signe primitif s’accordant aux figures il convenait certainement de rafraîchir le geste. Coup de chance ou intuition, l’acier de la plume accrochant le papier restitue le côté rugueux des objets ethnologiques qui lui servaient alors de modèle.