Passez moi l'expression!

Publié le par ap


« …un bâtiment en briques rouges avec des fenêtres bleues, vous trouverez facilement en suivant la direction piscine et patinoire… Disons 17h30, demain ! »

Je n’avais jamais pratiqué – ou plutôt subi - d’EMG et je ne connaissais pas le protocole.

 « Asseyez vous sur le siège et détendez-vous », m’a dit le médecin. Il a posé des pinces en divers endroits de ma main et mon avant bras, « Nous utilisons de l’électricité pour cet examen… Ce n’est pas très agréable… », a-t-il ajouté, avant de tourner le bouton de l’appareil.

Si vous avez déjà pris du jus en touchant des fils électriques dénudés, reliés au secteur, vous pouvez vous faire une idée de la sensation. Ca, plus l’implantation d’aiguilles dans les muscles pour mesurer la contraction de ceux-ci… Bref, un petit supplice.

Assis, le bras gauche offert aux décharges de courant, j’ai compris soudain la monstruosité du procédé utilisé pour l’application de la peine capitale dans certains états des Etats Unis d’Amérique. Car si tout le monde a  une fois au moins, dans sa vie éprouvé cette secoue provoquée par le courant traversant le corps, même à faible dose, personne n’a jamais testé la pendaison ou la décapitation avant… Ce qu’il y a donc de barbare dans cette exécution, au-delà du fait que ce soit une mise à mort programmée, c’est qu’elle repose sur une mémoire intime de la douleur, comme devait l’être l’épreuve du feu pour les gens condamnés au bûché.

Quinze décharges plus tard, le médecin m’a annoncé que tout allait bien et qu’il ne semblait pas y avoir de lésions du système nerveux à ce stade de l’examen. Il ne comprenait pas très bien ce qui se passait mais suggérait de creuser encore. Là, j’ai un peu tiqué, j’avais encore les effets des ondes qui résonnaient dans mon avant bras… Puis, après avoir repris les éléments du dossier et repassé en revue les différents symptômes, il a dit : « En fait, je crois que vous êtes au bout du rouleau ! ». 

L’expression a claqué comme une gifle. Pour moi cela voulait dire rideau ! Devant mon désarrois, il a cependant tenu à nuancer son propos : « Trop de fatigue, de stress  - c’est fou comme ce mot est utilisé lorsque rien de concret ne peut être mis en face - et votre système nerveux central déraille. Plus rien n’est coordonné, c’est la panique à bord, le grand bordel !... Passez moi l’expression ! ».

Bon! Mais que voulait dire vraiment cette expression, « être au bout du rouleau ». En rentrant chez moi, pour en avoir le cœur net, j’ai effectué quelques recherches

J’ai d’abord croisé, sur le forum de l’Université de Médecine de Montréal un article sur le SFC, avant de trouver l’origine de l’expression sur un autre site :

« Jusqu'au Moyen Age, les livres étaient constitués de feuilles collées bout à bout, écrites sur une seule face, puis enroulées autour d’un bâton d'ivoire ou de buis. Cette feuille portait le nom de rôle. C'est d'ailleurs sous ce nom qu'on appelait les registres administratifs et de ce nom également que vient l'expression "à tour de rôle". Contrairement aux textes littéraires, le texte des acteurs médiévaux d'une pièce de théâtre était écrit sur un rôle (ce qui explique l’expression « jouer un rôle. »). Lorsque la feuille était de petite taille (ou le rôle de théâtre peu important), on utilisait le diminutif de rollet. Ainsi, celui qui arrivait au bout du rollet n'avait plus rien à lire ou dire.

A la fin du XVIIe siècle, par extension, quelqu'un qui était au bout de son rollet  était quelqu'un qui ne savait plus quoi dire à la fin d'un discours, plus quoi faire dans ce qu'il avait entrepris, plus quoi répondre ou plus trouver de quoi vivre.

C'est donc tout naturellement que, détachée de son origine théâtrale avec la connotation « à bout de ressources », l'expression, au XIXe siècle a été utilisée, d'autant plus que les ressources financières étaient alors aussi matérialisées par de petits rouleaux de papier où l’on rangeait les pièces (comme les banquiers le font toujours aujourd'hui). Être au bout de son rouleau c'était ne plus avoir de pièces donc d’argent.

Enfin, cette expression aurait été revitalisée à la fin du XIXe siècle par les cylindres (les rouleaux !) des phonographes de l'époque qui produisaient des sons de plus en plus déformés au fur et à mesure que le ressort du mécanisme arrivait en bout de course, donnant l'impression de peiner et de ne plus en pouvoir. »

Finalement, j'ai songé que l’association avec le rideau qui retombe sur la scène, après le spectacle n’était donc pas si éloignée du sens


[…]

Publié dans écrits

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article