Ressemblance #3

Publié le par ap

 (Robert  Bechtle)

Retour à Mound St

Il y a quelques semaines, essayant de savoir si les deux maisons qui figuraient dans la peinture de Robert Bechtle, 56’ Chrysler (1965), existaient réellement ou si elles étaient une pure construction, j’avais émis l’hypothèse, me basant sur une autre peinture datant de 2006, que celle-ci était localisée dans Mound Street dans la ville d'Alameda.

En cherchant des informations sur Robert Bechtle, j’avais par ailleurs croisé, sur le blog de Murilee Martin, un article se référant à la question du lieu. A l’occasion de la rétrospective de l’artiste au Moma de San Francisco, en 2005, Murilee Martin avait entre autre choses, photographié, non loin de chez lui, le parking (vide) où en 1974, était stationnée une Ford Wagon. « J’ai dans mon séjour une reproduction de Gran Torino de Robert Bechtle et il était assez amusant de penser que le lieu se trouvait à cinq blocs de là où j'habite [...] il ne me fut pas très difficile de localiser l'endroit, l'artiste ayant reproduit le numéro de l'adresse [...].Les peintures de Bechtle m'ont souvent servi de source d'inspiration lorsque, franchissant le seuil je me lançe dans mes expéditions photographiques en quête de nouveaux spécimens... » indiquait-il.

Et, de fait, il y a de cela dans cette démarche : celle d’un entomologiste dressant un inventaire, une taxinomie patiente du parc automobile de sa ville ; nombreuses photographies prises par Murilee Martin, notamment dans les rubriques « Down the street » et « Down the junkyard », auraient pu être des sujets pour Robert Bechtle, Don Eddy ou Jonh Salt.

Dans nos différents échanges, Murilee Martin notait que l’ensemble des constructions de ces quartiers pavillonnaires se ressemblaient toutes un peu, étant souvent réalisées par un même architecte et sur un même modèle, ainsi il n’était pas certain que mon hypothèse tienne la route (si j’ose dire). Il suffit, comme je l'ai fait, de circuler virtuellement dans les rues de Alameda des agglomérations alentour  pour comprendre en effet ce phénomène architectual. On y découvre d'ailleurs (puisque l'auteur des peintures laisse suffisemment d'indices) d'autres lieux qui ont inspiré ces travaux.

Marin Avenue (Albany) - R.Bechtle Marin Ave, late afternoon,1988

Bayview Dr (Alameda) - R.Bechtle Amelada Nova, 1979

Otis Avenue  (Alameda) - R.Bechtle 58' Rambler, 1967

(...)

Sans le concours précieux de cet allié local, avec qui j’avais pris contact à tout hasard, il ne m’aurait pas été possible de vérifier certains détails.

Murilee Martin m’a fait parvenir récemment plusieurs photographies et, malgré les transformations qui sont intervenues en quarante cinq ans (la végétation autant que les différents aménagements), ces clichés confirment donc bien que, d’une part que les deux maisons existent bel et bien, côte à côte, dans une même configuration et que, d’autre part, comme je l’avais supposé, il n’existe aucune trace de signalisation (même anciennes) peintes sur la chaussée.

(...)

Au détour d’une vidéo présentée par le Moma de San Francisco, j’ai par ailleurs découvert qu’il existait une autre version peinte avec le même groupe de bâtiments découpé par une source de lumière plus rasante et devant lequel se trouvait une autre Chrysler, datant visiblement des années 60 (je n'ai pas retrouvé la dare exacte).

L’insistance du motif des volumes géométriques de ces façades presque irréelles (on dirait une nature morte de Morandi), manifeste l’intérêt que Robert Bechtle leur a donc accordé à au moins deux reprises, ce qui confirme qu’il s’agit bien là d’un lieu familier.

Etrangement, la forme très caractéristique de l'arrière de ce véhicule (en forme de flèche) m’a fait me souvenir que je l’avais déjà croisé dans une autre peinture datant celle-ci de 1981.

Une femme d’une soixantaine d’année, vêtue d’un pantalon et d’un chemisier à fleur, est adossée à la voiture, une main posée sur poignée de la portière. A vrai dire, je n’avais pas porté attention à l’arrière plan de cette scene, autrement que d’un point de vue purement plastique, le jeu des ombres projetées absorbant littéralement les façades.

Pourtant - et cela grâce entre autres aux photographies de Murilee Martin - je me rends compte soudain qu’il s’agit encore du même lieu. Un seul élément est réellement différent, il s’agit de l’arbre qui sur la gauche possède un tronc plus important que sur la photographie (pourtant plus récente) et qui précisément par la taille supposée de son feuillage produit en partie l’obscurité.

(...)

Parcourant une fois encore les peintures de Bechtle, je m'apperçois qu'une autre peinture, qui jusque là avait échappé à mon attention, représente encore le même lieu, dans la même perspective que celle de la photographie de Murilee Martin qui ouvre cet article et celle de "Six maisons dans Mound Street" (2006).


Robert Bechtle, 57' Ford, 1966
(Revenir sur les mêmes lieux, les peindre et le repeindre en tenant compte du temps qui passe, des lumières qui sculptent les volumes, des micro-evènements qui modifient la reconnaissance que l'on en aurait :  rejouer la scène en changeant les acteurs, déjouer  les attentes, se jouer des apparences...)
__

Le site de Murillee Martin

Publié dans peinture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article