...rien à voir.

Publié le par ap

 En 1993, Bertrand Lavier exposait l'épave d'une automobile rouge accidentée sous le titre de Guilietta, du nom de la fameuse série produite de 1954 à 1962 par le constructeur italien Alpha Roméo. Le modèle autant que l’on puisse encore en juger, malgré l’état dégradé du véhicule, est la Berline Sport et non la Coupée que des cinéastes comme Fellini et Godard ont porté à l’écran, même si cela n’est certainement pas sans rapport… On se souviendra particulièrement, dans l'une des dernières scènes du Mépris (1963), de la décapotable rouge encastrée dans un camion citerne...

 

La Giulietta de Bertrand Lavier réveilla, lors de sa présentation au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, en 2001, quelques vieilles controverses sur le statut de l’œuvre d’art. Pourtant, depuis les toutes premières sculptures d'avant-garde de l’eau avait coulé sous les ponts. Duchamp, plus particulièrement avait mis le ready-made sur orbite dès 1917 et la question de "l’objet élevé au rang d’œuvre d’art," dont relève évidemment La Giulietta, n’aurait même pas dû se poser pour nos contemporains. Pour défendre cette œuvre auprès d’un public plus que septique, il ne suffisait pas de prétendre – comme j’ai pu le lire – que l'intention de l'artiste était « en prélevant dans une casse un objet de traduire une sorte de principe d'émotion pure ».

 

La Giulietta est inscrite dans cette réflexion post-duchampienne qui occupe, depuis ses débuts, le travail de B. Lavier – ainsi qu’un bon nombre de ses contemporains d’ailleurs – autrement dit : comment se situer (ou répondre) aux propositions de celui qui, par boutade ou par déception, semblait avoir défriché un nouveau territoire posant, par quelques rares objets et formules, les jalons d’une autre conception de l’esthétique ? Au nom du père, on justifia les fils, oubliant évidemment de préciser qu’ils étaient légions. On se content aussi convoquer le souvenir du Porte bouteille alors que les fêlures du Grand Verre auraient sans doute permis une compréhension plus subtile de la notion d’accident ou d'évènement… A défaut de trouver les bons arguments on préféra suggérer que la fonction des institutions, faisant la promotion d’un art résolument inscrit dans son temps, se devait d’être "iconoclaste", ce qui ne fit, sans doute, que prolonger le malentendu. Mais ne s’agit-il pas de cela en fin de compte, Giulietta n'est-elle pas d'abord un véritable malentendu?

 

Comme ce rebus proposé au public témoignait du résultat d’un choc fracassant, cela fit dire à certains que Giulietta pouvait être considérée comme l'emblème iconographique d'une société éprise de vitesse et de violence, comme les travaux de Warhol en avaient d'ailleurs rendu compte dès les années 60. On n'oublia pas non plus (filiation oblige) de citer les compressions de César, les tôles froissées de Chamberlain... et l'on aurait pu aussi, puisqu'il se trouve que cette autre sculpture fut aussi réalisée en 1993, choisir la confrontation avec la D.S "comprimée" de Gabriel Orozco.

Le sens de la sculpture de Lavier est finalement plus simple qu’il n’y parait car il  faut tout de même rappeler que c'est d’abord au nom d'une grande marque de véhicule que s'intéresse l'artiste, ou, si l’on préfère, et pour  bien comprendre ce dont il s’agit, il faut revenir à l’Alpha et relier Juliette à Roméo, comme l’avaient d’ailleurs induits en leurs temps les constructeurs,

Fidèle au principe de son équation (signe sur signe), Lavier aura donc pris acte, avec humour, en croisant cette carcasse, de l’issue fatale que raconte la pièce de Shakespeare où, comme dans le drame, l’objet du désir pouvant provoquer simultanément, pour peu que le destin s'en mêle,  la perte de celui qui le convoite et la sienne… 

Ici n’y aurait donc rien à voir mais bien tout à entendre, étant donné que c’est bien sur le registre de l’intention et du sous entendu que se place cette proposition. 

 

Publié dans entre les signes

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P
Tiens je pense aussi à cette voiture de Roman Signer lancée à la rencontre d'un entonnoir de béton.
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A
- Moi? Mais je n'ai rien fait, répondit l'arôme héros au chant du rossignol, c'est Bertrand... - Tu parles, dit Bertrand, c'est la vie!
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E
Vrooum...vroum...C'est le salon de l'auto ?(Juliette à Roméo) Et qu'est-ce que tu fais de Mercedes pour les prénoms ? Je crois qu'on peut chercher aussi du côté d'Audi (en plus oriental), etc.Ya TATA chez les Indiens (ça fait plus famille...);-)
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