Circulez…

Publié le par ap

(Andrew Bush / Adler Gosbert)


Une lectrice attentionnée m’a fait parvenir, il y a quelques temps, deux ou trois reproductions d’un travail photographique d’un certain Andrew Bush qu’elle appréciait et dont elle souhaitait que je parle ici. Il s’agit d’images présentant différentes personnes saisies au volant de leur véhicule. Un sujet simple que ce photographe américain a réalisé, depuis 1989, à Los Angeles et ses alentours.

 

 

On le sait, la culture de la voiture (the car culture), est pour les américains une tradition qui trouve son origine dans le modèle des convois qui sillonnèrent le territoire dès le début de la conquête de l’ouest, ou encore dans celui des cow-boys et de leurs inséparables montures. Les chevaux se sont mécanisés mais l’attachement reste le même dans un pays où les distances ont l’importance que l’on sait. En ville et particulièrement à L.A, en raison de l’étendue de cette mégalopole et de l’absence d’un réel système de transports en commun, la voiture s’avère être plus qu’indispensable. Liée étroitement au mode de vie, celle-ci apparait donc comme l’un des dénominateurs communs les plus observables de cette société, tout en étant aussi le reflet (parfois le double) de son propriétaire.

 

Ce sont à ces différents facteurs que Andrew Bush semble avoir été sensible dans cette série de photographies parfois prises à l’arrêt, mais le plus souvent à la hauteur d’un véhicule dépassé en pleine course. Pourtant, plus qu’un constat (ou qu’un inventaire) de la population et du parc automobile d’une partie de ce continent, ces images constituent d’abord une série de portraits qui, à défaut d’être d’une inspiration franchement neuve, a tout au moins été perçue comme réjouissante et très « branchée ».


 

Ceci étant, il n’est pas le seul. Le travail de Adler Gosbert, interrogeait lui aussi en 2005, par des prises de vues à la dérobée, réalisées dans les rues de Reggio Emilia, en Italie, les attitudes des conducteurs. Cette suite intitulée Drivers, prise en légère plongée, se concentrait davantage sur l’habitacle clos et protégé des vitres fumées.

« Je suis venu à Reggio Emilia avec une idée : j’étais intéressé par les voitures et j'ai voulu continuer à travailler sur ce thème, que j’avais déjà abordé l’année précédente. […] La rue est la frontière entre la vie privée et la vie publique, une ligne de démarcation si vous préférez. […] Je m‘étais intéressé, dans mon travail précédent, aux objets qui se trouvent dans les voitures, ceux-ci visibles aux passants donnant une certaine idée de la vie privée de personnes qui utilisent le véhicule […] On pourrait dire que mon travail a toujours quelque chose à voir des frontières et avec des limites. Je trouve intéressante la situation où la voiture s’arrête à un feux : c'est un moment où les personnes sont recentrées sur elles-mêmes[...] Parfois elles laissent aller leurs regards dans le vague, mais pour utiliser une expression allemande, on dirait qu’elles sont comme "dans une vitrine" […] Il ne s’agit cependant pas ici des portraits réels, car ceux-ci sont pris par derrière ou sur le côté. […] Je suis intéressé par la corrélation existant entre et les sphères privées et publiques, dont la voiture est l’un des objets typiques ou emblématiques…». déclarait ainsi l'auteur de ces photographies.

Encore plus radicale (et donc plus unitaire ou uniforme) que la série de Andrew Bush, cette séquence, dominée par des tons bleus et froids, semble plutôt conçue comme une sorte d’intrusion, un peu à la manière des méthodes de contrôle utilisées pour la surveillance. L’épuisement de l’image, énoncé par le choix d’un cadrage identique, entretient néanmoins, par le choix d’un format panoramique, une dimension fictive.

 

On trouvera cependant dans le livre de Robert Frank, Les Américains,  deux clichés assez proches, par le cadrage ou par l’esprit, des deux travaux présentés ci-dessus, puisqu’il s’agissait déjà en 1955, de façon moins manichéenne et systématique, de porter un regard sur un pays et sur ce qui pouvait définir (traduire) un mode vie et une façon d'être.

Si rien n’interdit de pratiquer l’hommage et la reprise, le travail de A.Bush et celui de A.Gosbert sont, à mon sens, les illustrations exemplaires de plusieurs autres démarches contemporaines qui, ayant localisé une petite idée dans un ensemble plus dense et plus complexe, se contentent souvent d'en répéter la forme, jusqu’à l’épuisement de la source.


Publié dans photographie

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P
Effectivement, la conclusion. Pourtant je crois que l'idée c'est rien, l'important en art c'est la mise en forme. Pénibles ces "coups", toutes les idées qui passent par la tête, du coup emprunts réminiscences...
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L
En voyant ces clichés, je ne peux m'empêcher de penser à Trafic de Tati et à cette série de plans sur des conducteurs peu délicats mais si drôles (doigts dans le nez...).
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A
<br /> En effet Lili, tu as trouvé (les doigts dans...) l'objet du prochain<br /> post.<br /> <br /> <br />