Si Koons m'était conté...

Publié le par ap

 

"Avec tous les jardiniers que vous avez, vous allez pouvoir exposer mon Split-Rocker !"

François Pinault s’adressant à Jean-Jacques Aillagon, Le Monde du 07.09.08.(1)

 

On annonçait en grande pompe une petite odeur de sandales à Versailles… Pardon, de scandale. Quoique, à la limite… cela ne change pas grand-chose à l’affaire, sinon peut-être pour l’odeur justement qui, comme chacun sait, en ce qui concerne l’argent, n’en a pas.

« Le coût de l'exposition s'élève en effet à 1,9 million d'euros. […] 300 000 euros sont à la charge de l'établissement public alors que 1,6 million d'euros a été financé par des partenariats, essentiellement des collectionneurs privés dont François Pinault, Eli Broad, Dakis Joanno, Edgar de Picciotto. Pour la plupart des collectionneurs de Koons... », était-il précisé en conclusion de ce même article du Monde(1).

De quoi grincer des molières devant un relent de homard, oubliant peut-être déjà celui qui, il y a des lustres, servit de combiné téléphonique chez Dali, ou encore, chez le même Dali, cuillère géante et autre montre molle au plat, suspendues au plafond de la fosse du Centre Georges Pompidou lors de la rétrospective organisée pour celui-ci. Le scandale et son parfum c’était hier : mais pas au Centre où l’artiste Catalan était célébré, non, plutôt au cabaret Voltaire, dès 1916 et dans les diverses manifestations Dadaïstes et Surréalistes.

Au fond ne sommes nous pas là devant un non évènement. Autant l’artiste avait su séduire la critique par ses aspirations post duchampiennes d’objets ménagers et sportifs alignés sous vitrines, amuser et ravir les mémères par ses porcelaines néo-pop, choquer (les mêmes mémères) pour ses remakes d’images kitsch-pornographiques, attendrir de grands adolescents attardés de la culture avec ses lapins en inox faussement gonflés à l’hélium, autant cette exposition risque de laisser perplexe sur la pertinence d’une telle proposition et sur les moyens financiers de cette entreprise...

Les quelques photographies qui circulent sur internet(2), qui suffisent finalement à rendre compte du spectacle, nous apprennent plusieurs choses : la première c’est que, dans ce cas précis, l'image est sans doute suffisante tant la nature de l’objet s’y apparente. Une seconde est que l’artiste n’a pas franchement pris en compte le lieu mais qu’il y a installé son magasin d’accessoires - puisqu’il s’agit, si j’ai bien compris, d’une sorte de mini rétrospective (entre amis!) -, une troisième (et en j’en fais le pari) est que quelque soit l’oeuvre contemporaine présentée dans ce décor fastueux, elle ne peut que rentrer en dialogue avec les stucs, les miroirs, le mobilier et les dorures...

Philippe Dagen, dans un article du 11.09.08 (3), quoique mesuré et prudent, plaide pour une parenté des formes et de la symbolique associé aux lieux : « Il ne crée pas des formes - tel n'est en rien son but. Il s'empare de formes connues - les plus connues possible - et les magnifie par l'agrandissement, le matériau de prix, le socle ou la vitrine. Mais reprendre les figures de Diane, de Mars ou d'Hercule à la fin du  17e siècle, était-ce si différent?  Les artistes de Versailles, accomplissant un programme politique et propagandiste, n'ont rien inventé, reprenant des thèmes usés depuis la Renaissance.».  Il ajoute : « Il y a là une certaine conception de l'art et de sa fonction, celle de l'art qui aspire à éblouir et à fasciner le plus grand nombre, la foule des sujets autorisés à pénétrer à la cour, le cortège des touristes autorisés à y piétiner à leur tour. Cette conception, on peut s'en méfier, d'autant que son efficacité est certaine.» 

En contrepoint, l’analyse qu’en fait Jean Clair (4) est on ne peut plus radicale : « Jeff Koons n'est que le terme extrême d'une longue histoire de l'esthétique moderniste que j'aimerais appeler l'esthétique du décalé. Le mot «décalé» est apparu dans la langue il y a sept ou huit ans. Rien d'intéressant qui ne soit «décalé». Une exposition se doit d'être «décalée», une œuvre, un livre, un propos seront d'autant plus goûtés qu'ils seront «décalés». Décaler, ça veut dire ôter les cales ; on décale un meuble - et il tombe, on décale une machine fixée sur son arbre, et elle devient une machine folle, on décale un bateau, et vogue la galère… Une nef des fous, en effet. » et de conclure : « Tout cela, sous le vernis festif, a un petit côté, comme à peu près tout désormais en France, frivole et funèbre, dérisoire et sarcastique, mortifiant. Sous le kitsch des petits cochons roses, la morsure de la mort. Sous la praline, le poison. »

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1 -  Article du Monde du 07.09.08.

2 – Présentation des œuvres exposées (avec simulations de l’artiste) / Quet-ce que l'art (aujourd'hui)?

3 – Article du Monde du 11.09.08

4 – Article du Figaro 

Publié dans (re)vue

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