Reliefs de vie

Publié le par ap

Un bref séjour dans le sud, pour vider l’appartement qu’occupaient mes parents. Quelques meubles et des bibelots, les reliefs d’une vie. Par où commencer le tri : jeter, donner, garder… ? Des cartons s’empilent contre un mur du séjour. Trois ou quatre, pas plus. J’ai retrouvé une toile ancienne à la cave, conservé les outils de mon père, mis de côté un peu de vaisselle, mais très peu.


 

 

 

Un brocanteur venu remplir un camion d’effets divers me parle de Luxeuil les bains où il fût militaire : « un bon poste, j’étais célibataire… Mais un drôle de coin paumé, je déprimais sec ! Je n’y suis pas resté longtemps, j’ai même raté la cure… Vous savez bien vous, la cure de Luxeuil est réputée…Il n’y a que des jeunes femmes stériles qui viennent là… Bon alors le soir, vous voyez bien, dans les bars et les boites de nuit…. Mais moi, sans la mer – je suis normand, alors… ! - Bref, j’ai pas connu, je suis parti avant la cure… ». Il m’explique aussi comment il a changé de métier « à cause de sa femme… enfin non, pas à cause… pour sa femme… » et puis, « le magasin de quatre cents mètres carrés et la faillite à cause des charges… Ha ça j’en ai vidé des maisons depuis dix ans, il faut dire qu’il y a plein de vieilles personnes par ici, et forcément ça meurt plus souvent… Tient, la dernière c’était surtout des vêtements qu’on a embarqué… Une vieille bourgeoise avec des tonnes de fringues. On a fait deux voyages et rien que du beau. D’ailleurs c’est drôle pour son âge le nombre de mini jupes et de… enfin elle s’habillait plutôt jeune et branchée… J’en ai tiré un bon prix.». L’appartement est quasiment vide. Il reste juste à faire quelques voyages à la déchetterie.


 

Toulon est une drôle de ville ! En façade c’est plutôt propret, les aménagements modernes et la décoration récente des quartiers chics de la corniche contrastent avec l’état de délabrement de cette zone dite d’activité. Au bas d’une route cabossée, qui conduit à un terre-plein truffé d’ornières, des camions manoeuvrent entre des bennes rouillées posées dans les déchets. La poussière et les mouettes tournent sur cette friche sale. Deux employés s’activent en faisant le va et vient entre le portail et le lieu de stockage des déchets, pour contrôler les entrés et le tri.

Je me dis aussi que les gens responsables du choix de ce site doivent être inconscients ou cyniques car, à quelques mètres à peine, derrière le grillage ornée de sacs plastiques et de papiers, se dresse l’enceinte du cimetière, celui-là même où sont enterrés mes parents et plus de la moitié de la ville. Or je ne suis sans doute pas le seul à venir ici vider la maison d’un mort, mettre aux ordures tout ce qu’il a laissé en partant. D’un côté du mur on met en terre en grandes pompes, de l’autre on bazarde de vieux matelas, des meubles en formica, de l’électroménager usagé… D’un côté les corps de l’autre les objets. Un camion s’approche d’une benne qui dégorge, un bras d’acier s'en saisit, la lève doucement, la charge et s’en retourne vers l’usine d’incinération dont la haute cheminée rouge recrache, dans une fumée bleue pâle, tous les restes qu’elle ingère. Je regarde une chaise en bois posée de guingois sur un talus de terre où résiste un arbuste chétif.


 

Un fauteuil de jardin en plastique, une lampe de chevet posée, à même la moquette, c’est tout ce qui reste. Les stores du séjour sont mis clos. Je réalise que la première fois que j’ai vu cet appartement il était à peu de choses près ainsi. Vide avec un salon de jardin. Je ferme la porte en me souvenant des cris des enfants qui dévalaient les marches de l’escalier extérieur pour aller jouer sous l'ombre des deux platanes de la cour du bas, arbres que la copropriété a décidé d’abattre. Je repense aux cachettes dans les rocailles du jardin, au jaune lumineux du mimosa qui éclairait la fin de l’hiver.

 

Publié dans brèves vues

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